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APOLOGÉTIQUE. APOLOGIE


rience l’a prouve, de sacrifier la raison à l’affection, en se montrant peu rigoureux sur la valeur rationnelle de la connaissance préalable.

Si de la notion formelle de la crédibilité et de l’acte de foi nous passons à l’aspect général de la démonstration chrétienne, il est vrai de dire que, pendant tout le moyen âge scolastique, l’apologétique resta comme centralisée dans l’Ecole. Tout était suffisamment commun, principes et métliode, pour que la preuve et la défense de la religion restassent, dans les orandes lignes, homogènes. Entre les apologies des xiii° et xiV siècles et celles qui paraissent à la veille des temps modernes, les différences sont accidentelles. Le Fortalitiiim pdei contra Judæos, Saracenos aliosque christianae fidei inimicos, Xureniberg, 1/J87, du franciscain Alphonse de Spixa, est un ouvrage scolastique. Même dans la Theologia natiiralis seu Liber creaturarum de Raymond de Seboxde (^ 1437), les titres 207 et 208, consacrés à l’apologétique, sont d’inspiration doctrinale et traditionnelle ; il avait seulement insisté auparavant, tit. 180, sur une considération goûtée de nos jours, l’harmonie de la foi avec le l)ien de l’homme. Savoxarole, dans son Triuinphus criicis seu de veritate fidei, relève, il est vrai, les effets moraux et la valeur pratique du christianisme ; l’Espagnol Pedro de la CabaLLERL, dans ses Rationes laicales contra idiotas, qiiae docent fidem christianam eram et necessariam esse. (1487), s’occupe moins des motifs extrinsèques de crédibilité, que du contenu et de l’excellence de la révélation chrétienne ; mais il n’y a là rien qui sorte vraiment du cercle des idées connues et admises par les théologiens scolastiques.

On peut cependant voir dans ces divergences accidentelles comme un prélude de la décentralisation qui, bientôt, allait s’accomplir sur le terrain apologétique. Le fait est siu’tout sensible chez les écrivains de la seconde moitié du xV siècle rjui furent hostiles à la philosophie et à la culture scolastique. Tel, par exemple, Xicolas de Cuse (j 1464), q’ie ses préventions ou ses rêveries mystiques entraînent, soit à des professions de foi fidéistes, dans son livre De docta ignorantia, soit à des conceptions passablement latitudinaristes, dans un autre ouvrage, De pace fidei. Tels encore les apologètes de la Renaissance, dont le mouvement intellectuel, puissant et fécond sous plus d’un rapport, n’en fut lias moins, sous d’autres, excessif et dangereux. Epris de la littérature grecque ou de la philosopliie platonicienne, les humanistes s’attachent de préférence à la métaphysique du bon et du beau ; parfois, il est vrai, ils se contentent de mettre surtout en relief les preuves intei-nes de la religion, d’exposer les convenances des mystères chrétiens sous une forme élégante, comme un peu plus tard Louis Vives, au livre Y^ de son De veritate fidei catholicæ Bàle, 1543 ; mais parfois aussi ils amalgament la doctrine de Platon et celle de Jésus-Clirist. en poussant même l’outrance de leur syncrétisme jusqu'à faire du premier le précurseur du second, comme Marsile Ficix, dans son traité De religione christiana, composé en 1474'

IV. L’apologétique dans les temps modernes jusqu’au XIX'^^ siècle. — Sous l’influence de causes diverses, le mouvement apologétique se développe considérablement pendant cette période, mais en même temps il se décentralise, d’abord en ce sens général que, dans la forme, il revêt des aspects nouveaux, puis en ce sens spécial et plus important que, pour le fond, il présente de nofabU^s différences, surtout si l’on considère ce c|u’il est dans l’Eglise catholique et ce qu’il est dans les églises séparées.

I. Développement général du mouvement apologé tique. — Au moyen âge. la lutte de principe concernant la vérité de la religion chrétienne avait tourne presque exclusivement dans le cercle restreint de la polémique juive ou musulmane. Il en fut tout autrement à partir duxvi* siècle. Les négations des Réformateurs protestants relatives à la nature de l’Eglise, à son magistère et à divers dogmes professés depuis des siècles, donnèrent d’abord lieu à ces retentissantes controverses où figurent des noms illustres, comme celui du cardinal Bellarmix ; en France, ceux de saint François de Sales, des cardinaux Richelieu et DU Perron, de Bossuet et de Fénelon. Mais cette controverse fut proprement d’ordre théologicpie ; de part et d’autre, la Bible était tenue pour la vraie parole de Dieu et restait un principe commun de foi et de discussion.

Bientôt le lil)re examen en matière religieuse, admis par la Réforme, fut dépassé. En France, d’abord, pendant la première moitié du xvii*^ siècle, parurent les libres-penseurs, ces « libertins » qui ne s’assujettissaient ni aux pratiques, ni aux croyances communes. Dans la seconde moitié du même siècle, en Angleterre, Edouard Herbert, lord Cherbury, inaugura le déisme avec sa théorie empirique de la connaissance et sa conception d’un Dieu créateur qui n’entretient aucune relation positive avec l’homme ; ce qui entraînait le rejet des sacrements, du culte extérieur, de la grâce, de la révélation, en un mot de tout l’ordre surnaturel, et ne laissait subsister qu’une religion vague, dans les limites de la raison, dont on prétendait retrom^er plus ou moins les traces dans tous les systèmes religieux dont l’histoire fait mention et qu’on appelait cependant christianisme, comme Toland, Christianity not mysierious, 16g6, et Tyndal, Christianity as old as the création, Londres, 1780. Au xviu* siècle, le même mouvement d’opposition radicale au christianisme concret et doctrinal s'étend sur le continent, en France surtout et en Allemagne, sous des noms variés, mais tous synonymes, dans la question présente, de naturalisme, matérialisme ou rationalisme.

L’Eglise n’est donc plus seulement attaquée dans tel ou tel de ses dogmes, dans telle ou telle de ses propriétés, sous tel ou tel aspect de détail ; elle l’est dans son caractère même de religion positive, surnaturelle, et l’attaque porte sur tous les fondements de la foi, prochains ou éloignés : réalité historique, discernibilité par les prophéties et les miracles, possibilité spéculative de la révélation et du surnaturel ; divinité de Jésus-Christ et de l’Eglise ; autorité non seulement divine, mais humaine des Ecritures ; providence, personnalité même et existence de Dieu. Et parce que des connaissances qui ont ijour ol)jet le monde et l’homme, leur origine, leur nature, leur histoire, il n’en est pas que la doctrine chrétienne ne touche par quelque côté, l’attaque, indéfinie dans son objet, devient multiple dans la forme : non seulement théologique, mais historique, scientifique, surtout philosophique.

Il fallait répondre à l’attaque, et répondre sur le terrain où s'était placé l’adversaire. C’est là une nécessité qui s’impose, quand il s’agit de l’apologétifpie considérée dans son rôle négatif ou polémique de défense religieuse ; car sous cet aspect général, l’apologétique est non seulement progressive, mais essentiellement mobile et relative ; mobile et relative comme l’attaque et l’erreur dont elle est la contre-partie. La même nécessité s’inqjose à l’apologiste, quand il aborde le côté positif de sa tàclie, c’est-à-dire dans la manière de présenter la foi et d’en exposer les titres ; car là encore, par rapport aux esprits humains qu’elle doit atteindre ou ceux dont elle émane, l’apologétique a quelque chose de