Page:Adelswärd-Fersen - Le baiser de Narcisse, 1912.djvu/95

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
77
LE BAISER DE NARCISSE


sa vie ne résidait point en choses délicieuses ou éphémères comme un regard et un baiser, mais que son nom vivrait avec le marbre dur. Pourtant le talent, le génie, ne sont rien devant la jeunesse qui passe ! Aussi, chaque jour, en place de le guérir, lui creusait-il la plaie où, parmi les ironiques tristesses et les tendresses en cendres, gisaient tant de fantômes tous pareils à Milès.

« Tu m’as repris comme un esclave. Rien ne me reste plus que ta volonté et que ta joie. Ma faiblesse te contemple à genoux… »

Il songeait à ces paroles, lorsque, le défilé des chars et des athlètes étant terminé, un claquement grêle et fin de crotales éclata, soutenu par la plainte stridente de joueurs de syrinx. Enveloppée de gaze, menue et perdue parmi les écharpes qui flottaient autour d’elle à la façon de Memphis, Briséis la courtisane apparaissait, suivie d’une théorie légère d’adolescents. Un murmure étonné d’admiration la précédait, car c’était la première fois qu’aux jeunes filles elle avait ainsi substitué des éphèbes. Elle avança donc, pieds nus sur le sable, le torse souple et fléchi, les bras levés, rejoints comme les anses d’une amphore.

En rythmes alternés elle heurtait ses crotales, fuyait ou cherchait une étreinte ; mais à chaque pas elle ployait une tête éblouie, les yeux chavirés dans de la musique.

Et parmi les jeunes hommes, presque encore des enfants, bientôt se détacha un adolescent, comme parmi les lys un rayon de soleil. Briséis visiblement l’attirait vers ses danses. Et il était si semblable à Milès pour ses yeux tristes et dominateurs, pour son front droit sous les cheveux en casque, pour le menton aigu et triangulaire, que Scopas aurait cru Milès dans l’arène du stade, si Milès lui-même n’avait été là. Tous ceux d’ailleurs qui