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LE BAISER DE NARCISSE


une forme voilée, légère ainsi que celle des prêtresses de Diane, qui s’avançait hésitante, la tête un peu baissée…

Ce devait être une des danseuses d’Académos qui voulait, sans se révéler, goûter la fraîcheur de la nuit, ou, encore, quelque figurante des cortèges orgiaques, venue là, cueillir des fleurs pour la couronne d’un jour… Jolie sans doute, à coup sûr merveilleusement fine et déliée, ainsi que l’accusaient les chevilles et les poignets cerclés de lourds anneaux d’or. Mais bah ! que lui importait l’inconnue, arrêtée d’ailleurs près d’un bosquet de jasmins ? Or, voici que la voyageuse reprenait sa route, précisait son chemin et qu’en même temps une autre forme blanche apparaissait, celle-là reconnue instantanément par le peintre : Personne dans Athènes n’avait ce profil excepté Briséis.

« Par Mercure ! pensait Ictinus en se dissimulant mieux encore derrière une des tables de sacrifices, je comprends son absence, c’est le soir de Lesbos ! »

La danseuse, cependant, avait rejeté l’écharpe qui la voilait, et comme un rayon de lune fragilement glissait du ciel, elle courut, légère, jusque vers l’amie. Elle la prenait dans ses bras, couvrant de baisers la mousseline qui séparait ses lèvres des autres lèvres, et ces deux fantômes, quasi aériens dans leur étreinte, apparurent au peintre comme un jet d’eau immobile… Puis Briséis à doigts fervents écarta le tissu nacré derrière lequel tremblait un visage… Elle se pencha presque, aspirant dans une seule et longue caresse toutes les effluves de son désir.

Quand elle se releva, muette, extasiée, et les paupières battantes, Ictinus fiévreusement s’était démasqué ; Ictinus ne put retenir un cri, cri de surprise, d’effroi et de rage : Car sur le sein de la courtisane, c’était Milès qui palpitait !

Au son âcre de la voix, reconnaissant le peintre, Briséis,

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