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LE BAISER DE NARCISSE


l’architecte. Il se moque, ou il s’attriste, ou bien il disparaît ; pas de milieu… Aristophane a raison de se railler de nous ! »

Également inquiets, ils traversaient les portiques, arrivant au proscénium, près de l’endroit où tout à l’heure encore l’éphèbe posait.

« Par Zeus, il ne fait que dormir ! » s’exclamait rasséréné l’Apoxyomène.

Ils l’aperçurent à terre, en effet, gisant, le bras plié sous sa mignonne tête. Vaincu, sans doute, par le vin et par la fatigue, il s’était assoupi. Ictinus, cependant, ne put retenir un cri de joie et de triomphe. Milès, les yeux clos par la belle main des rêves, avait, sans encore sourire, perdu son expression mélancolique, et ses lèvres écartées ressemblaient aux glaïeuls d’Épire, quand la rosée y tremble.

L’artiste, se précipitant sur les fusains, sur les pinceaux, voulut fixer l’abandon adorable. Mais, hélas ! au bruit qu’il avait fait, l’enfant rouvrait les yeux, et ses regards se chargeaient d’une telle ironie triste qu’Ictinus s’arrêtait, n’ayant qu’entrevu son chef-d’œuvre.

Là-bas, pourtant, sous les prunelles amies des étoiles, les paupières closes pour mieux se souvenir, avec sur la bouche le parfum du dernier baiser, Briséis fuyait, initiatrice solitaire et ravie, et ses flancs recélaient le trésor des vierges.