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LE BAISER DE NARCISSE


autour de lui, comme le soir, droites, montent les fumées…

Et seules, les palpitations des paupières jetaient un peu de vie dans ces prunelles en exil.

À présent le cortège s’ébranlait. D’un autre point, voisin du Stade, partait l’éclat acide et strident des cymbales, signalant d’autres sacrifices, et l’arrivée d’autres adorateurs. Les joueurs de flûte qui précédaient les inconnus soufflaient dans leurs roseaux les rythmes consacrés aux courtisanes. Effectivement, comme les porteurs de Scopas arrivaient en face des Propylées, sur la route du temple à Ganymède vers lequel se dirigeait l’architecte, ils croisèrent Briséis, la danseuse aux crotales, que Scopas avait abandonnée depuis le retour de Cnide, où elle avait trouvé Milès. Elle suivait leur route et les dépassait ; écartant les rideaux sans mot dire, elle jetait au favori un regard où veillait une involontaire admiration. Elle fit même un signe bref à Milès, que Scopas n’aperçut point. Le vieillard crut que le jeune garçon demeurait indifférent, car nul frisson n’agita le corps délié, et les yeux gardèrent leur expression lointaine.

Rien de ce qui passait et vivait, rien de ce qui passait et souriait, rien de ce qui passait et pleurait n’arracherait donc Milès à ses songes ? Aux seuls instants où l’Apoxyomène, transporté de douleur et d’amour, lui disait sa beauté et cueillait sur sa bouche froide, en caresses que l’éphèbe ne rendait jamais, l’inspiration haletante des chefs-d’œuvre, à ces seuls instants-là, Milès palpitait d’un plaisir solitaire. Comme penché sur un miroir invisible, sans bouger par crainte de détruire son image, l’adolescent chantait alors, avec une voix étrange, des musiques de là-bas…

Mais aussitôt après, il reprenait le calme des statues. Et c’était le Jeune Homme et la Mort…

Pourtant, comme ce jour semblait doux, propice à la vie !