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LE BAISER DE NARCISSE

« Par le divin Tibère ! faisait l’homme, très occupé une fois debout à garder son équilibre, un cratère de Chios ne nous fera pas peur ! N’est-ce pas, philosophe ? » cria-t-il en allant secouer dans les profondeurs de la seconde litière quelque chose qui y bougeait. Un grondement le faisait reculer.

« Grand Dieu ! Il ronfle ! gémissait l’assoiffé. Quel fils d’Épicure ! »

Par bonheur, du dernier palanquin une voix jeune, fraîche, un rien railleuse, interrogeait :

« Où sommes-nous, Scopas ?» Une main charmante aux doigts fins comme le col des vases tanagréens soulevait les tentures. — Par les dieux ! encore devant une taverne ! Se croyait-on à Suburre ou à Proclinium ? Puis une exclamation de plaisir : Le marché aux esclaves ! Et d’un bond la petite nymphe était sur pieds, rajustant, preste, ses colliers dérangés et laissant flotter autour d’elle des péplums légers comme de la fumée.

Elle avait la figure latine, petit front arqué de cheveux blonds, magnifiques yeux bruns un peu obliques, nez mince, droit et frémissant, bouche charnue et qui pour sourire s’aiguisait, menton pointu, piqué d’une fossette. Mais Briséis attirait surtout par sa couleur dorée, par une peau couleur de corail clair.

« Scopas, si ton ami Gratius Faliscus te voyait ainsi ivre, il te proposerait Écho pour verser le divin breuvage. Pendant que tu goûteras au nectar dans ce cabaret puant où tu ne saurais même pas faire respecter ta sœur la courtisane, je te chercherai Zeus l’improbable, parmi les puces et le soleil… D’ailleurs, dépêche-toi, si tu veux profiter des vents propices.

— Ad primum morsum si non potavero, mors sum ;
Gaudia sunt nobis maxima, quum bibo bis
Nona cherubinum…