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LE BAISER DE NARCISSE

Et comme prise de coquetterie soudaine dans sa misère, la pauvre petite esclave, pour cacher la laideur de ses prémices, couvrait les pulpes maigres de belles feuilles fraîches…

Milès, ignorant de ce que la pauvre fille cachait de dévouement et d’adoration muette, échangeait avec elle des paroles où toujours les mêmes idées revenaient, comme en une psalmodie… Elle devait être bien heureuse, malgré tout. N’était-elle pas libre. Oh ! il devinait bien qu’elle vivait très pauvre et très seule, mais avoir la route devant soi, longue, qui va vers l’infini comme un rayon de soleil, ou capricieuse, ondulant à travers les rocs et les broussailles, et qui se perd au sommet d’une montagne, en plein ciel ! Ne plus voir de grilles et de murs ! Un jour, la petite, avec la timidité de certaines mendiantes qui n’osent pas parler des douleurs, lui dit : « Mais la liberté, tu ne l’as donc pas, ô Lécythe ? » Alors pour la première fois, devant elle, l’adolescent se sentit les yeux pleins de larmes. Il se détourna, cachant les pleurs indignes. Elle comprenait. Quoi ! cette vie de prêtre qu’elle admirait avec une sorte de crainte confuse, ce séjour dans ce temple qui pour elle resplendissait de beautés mystérieuses, cette existence rêvée n’était qu’une réclusion…

Rompant le demi-silence pareil à de la pénombre, troublé à peine par les modulations d’une lyre lointaine, Milès, avec des mots qui hésitaient, lui raconta son supplice — sa prison. Il lui dit la nostalgie torturante de son cœur, l’angoisse quotidienne, comme il faisait froid et laid ici, la tiédeur de son pays natal, la voix de son père, il lui dit les fleurs de sa maison, sa volonté de fuir. Il parla d’Enacrios, Enacrios n’osait pas. Il fallait quelqu’un pour l’aider à partir, quelqu’un pour lui indiquer l’heure des caravanes… Quelqu’un pour le sauver.

L’infirme, les yeux graves, réfléchissait. Des tremblements