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l’œuvre de toute sa vie. La misère, le désespoir, et la mort peut-être, furent le résultat de la confiance qu’il avait placée dans son ingrat élève. Quant à celui-ci, il ne fut guère bien récompensé de sa mauvaise action : il était retourné au bercail de Mme de Warens pour mendier de nouveau sa protection ; mais Mme de Warens était partie. Il retrouva heureusement une espèce de musicien mauvais sujet, dont il s’était déjà engoué avant son entrée à la maîtrise. Il alla se loger avec lui ; mais le musicien avait autre chose à faire que d’enseigner son art gratis à son commensal, et Rousseau allait se promener en rêvassant dans la campagne, pendant que l’autre vaquait à ses leçons.

Cette belle vie ne dura pas longtemps. En l’absence de Mme de Warens, Rousseau s’était amouraché de sa femme de chambre, Mlle Merceret : celle-ci lui propose de l’accompagner à Fribourg, qu’habite son père et où elle espère avoir des nouvelles de sa maîtresse. En route, on fait des projets de mariage ; mais, à peine arrivés au but, les futurs conjoints étaient dégoûtés l’un de l’autre. La Merceret resta chez ses parents et Rousseau partit, marchant devant lui, ne sachant où il irait.

Il arriva ainsi à Lausanne, ayant dépensé son dernier kreutzer ; mais le courage et surtout l’impudence ne lui manquèrent pas. Les souvenirs de son ami Venture lui vinrent en aide. Ce Venture était un musicien assez habile. N’ayant pas assez de tenue et de conduite pour pouvoir se fixer en aucune ville, il allait d’un lieu à l’autre, et ses talents le faisaient