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— Pourquoi faire ? il faudrait en racheter un autre, et celui-là me sert ; c’est tout ce qu’il me faut.

— Mais vous pourriez en avoir un meilleur avec le prix que nous vous en donnerions, et avant tout pourriez-vous nous expliquer pourquoi votre violon n’est pas comme tous les autres ?

— Oh ! vous voulez dire pourquoi qu’il est en fer-blanc ? ça ne sera pas long. Voyez-vous mes bons messieurs, on n’a pas toujours été aveugle, et j’étais autrefois un bon vivant qui faisais gentiment sauter les jeunes filles à notre village ; mais je suis devenu vieux, et je n’y ai plus vu clair. Je ne sais trop comment j’aurais pu vivre sans ce bon Eustache, le fils de feu mon frère. Ce n’est qu’un pauvre ouvrier qui gagne à peine sa vie ; eh ! bien, il m’a pris avec lui et m’a nourri tant qu’il a pu ; mais à la fin, l’ouvrage a manqué : on ne faisait plus qu’une journée de trente sous par semaine, et c’était pas assez pour deux. Mon Dieu, que je lui dis, si j’avais tant seulement un violon ; j’en savais jouer dans mon jeune temps, et je pourrais le soir rapporter à la maison quelques pièces de deux sous qui nous aideraient un peu. Eustache ne dit rien, mais le lendemain je vis bien qu’il était plus triste qu’à l’ordinaire, et la nuit, comme il croyait que je dormais, je l’entendis murmurer : Oh ! le vieux serpent, ne pas vouloir me faire crédit de six francs ; mais c’est égal, mon oncle aura son affaire, ou je ne m’appellerai pas Eustache. Effectivement, au bout de huit jours, voilà mon garçon qui vient en triomphe, et me dit : Tenez, v’là un violon et un fameux ; c’est moi qui l’ai fait ! vous ne craindrez pas qu’il se casse