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Et M. de Lully prit par-dessous le bras le pauvre homme dont le costume ne pouvait guère faire soupçonner l’intimité qui régnait entre lui et le célèbre musicien ; il ne pensait déjà plus au peu de succès de son ouvrage, mille souvenirs venaient l’assaillir en foule, et à peine se fut-il enfermé avec son compagnon qu’il lui dit :

— Voyons, parlons de notre jeune temps, car j’y voudrais être encore.

— Comment toi, reprit Petit-Pierre, tu es riche, considéré, entouré de tout ce qui peut rendre la vie agréable, et tu regrettes le temps où nous écumions les marmites dans les cuisines de mademoiselle de Montpensier ?

— Certainement, répondit Lully, car alors j’avais quinze ans, et j’en ai aujourd’hui cinquante-trois. Pauvre enfant, amené à dix ans de Florence à Paris, le duc de Guise me donna comme un joujou à mademoiselle de Montpensier ; j’étais assez gentil, je savais à peine quelques mots de français, et mon baragouin amusait singulièrement ma noble maîtresse ; mais au bout de six mois, je parlais aussi bien français que tous les enfants de mon âge : je n’avais plus d’originalité, j’étais absolument comme tout le monde. On se dégoûta de moi, et ne sachant que faire du jouet qui avait passé de mode, on me relégua dans les cuisines où je te connus. Te rappelles-tu les bons tours que nous jouions à notre chef et même au maître d’hôtel ? te souviens-tu du vin que nous allions boire en cachette ?