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Chacun se mit à rire de cette repartie dont la hardiesse faisait le principal mérite. Mais malheureusement pour Lully, son mot eut trop de succès, on se le redit tellement qu’il vint aux oreilles mêmes du roi. Le monarque absolu, qui avait dit un jour : « J’ai failli attendre ! » ne pouvait pas prendre en bonne part la saillie de son musicien ; aussi, malgré le succès qu’obtint la représentation, n’adressa-t-il pas un seul mot de compliment à Lully, et le lendemain il fut décidé qu’on monterait l’opéra de Lalande.

Le pauvre Lully retourna l’oreille basse à Paris. Depuis huit jours il s’était donné une peine inimaginable pour regagner des bonnes grâces qu’il n’avait pas perdues, et tous ses efforts n’avaient abouti qu’à le mettre fort mal avec le roi, avec qui il était fort bien auparavant. « Foin des grands seigneurs et de la cour, se dit-il, le vent change trop souvent de direction dans ce pays-là, je ne saurais me faire à son climat. Vivent mes bons bourgeois de Paris ! C’est pour eux seuls que je vais travailler maintenant : ils auront un chef-d’œuvre dans mon Armide, et ils n’en applaudiront pas moins ma musique parce qu’un entr’acte aura été un peu long. »

Il se remit dès le lendemain au travail, et jamais peut-être il ne fut mieux inspiré. Le fameux monologue : Enfin il est en ma puissance ! qui pendant près d’un siècle, passa pour le chef-d’œuvre de la déclamation musicale, le duo Aimons-nous, le fameux duo de la Haine, que Gluck lui-même apprécia tellement qu’il ne fit, pour ainsi dire, qu’en rajeunir les formes, lorsque, quatre-vingt-dix ans plus tard, il refit la musique