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culents repas du lycée ; il est bien rare, dis-je, qu’après ce maussade festin, vous ne soyez pas encore régalé d’un petit concert impromptu après le dessert. C’est la petite fille de huit ans qui va vous faire juger de ses progrès. On ouvre le piano, à qui il ne manque qu’une demi-douzaine de cordes, vu qu’il n’a pas été accordé depuis la dernière soirée où l’on a dansé au piano, et l’enfant chéri est prié de jouer quelque chose pour faire plaisir à l’ami de la maison. Mais l’enfant chéri, qui prend ordinairement sa récréation après le dîner, ne trouve pas du tout amusant de donner un échantillon de ses talents à une pareille heure, et fait une moue longue d’une aune. « Allons, fais donc voir à Monsieur que tu es une grande demoiselle à présent, » dit le papa, en traînant sa fille du côté du piano. L’enfant résiste, le père se fâche, et la virtuose en herbe se met à pleurer. La maman se met alors de la partie : « Pourquoi la brutaliser ainsi ? dit-elle à son mari ; tu sais combien elle est timide, elle n’osera plus jouer, à présent. Allons, mon enfant, sois raisonnable, et si tu joues bien ton morceau, tu iras embrasser le monsieur qui aime beaucoup les petites filles qui sont bien sages. » Douce perspective !

Vous croyiez en être quitte pour entendre un peu de mauvaise musique, vous serez obligé, bon gré, mal gré, d’aller embrasser cette charmante petite fille qui, à l’aide du mouchoir de son père, est occupée dans un coin à sécher ses larmes. Il faut bien vous résigner ; après bien des façons, vous avez le bonheur d’entendre : Ah ! vous dirai-je, maman ! Je suis Lindor,