Page:Adam - Mes premières armes littéraires et politiques.djvu/234

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ce qu’il fait en nous présentant Wagner comme un révolutionnaire. Pour moi, il est trop avancé, nous dit M. de Bulow avec esprit. Quand vous le serez davantage vous-mêmes, vous le trouverez encore en avant. Il est de la nuance Bakounine et… Marat !

Je rencontrai quelques jours plus tard Berlioz dans la cour du Louvre et lui parlai de Wagner.

« C’est une âme satanique, me dit-il, son orgueil est sans frein. Il se croit l’arbre qui domine la forêt musicale. Il n’est pas cet arbre dominateur, mais il est de l’essence du mancenillier. Gare à qui dort à son ombre ! il le tue. Pauvre Bulow ! Wagner veut mal de mort à qui lui a causé l’inoubliable humiliation de lui faire du bien. J’en sais quelque chose. »

J’avais éprouvé chez M. de Charnacé une admiration sans réserve pour le talent toujours croissant de Hans de Bulow. Il possédait en art une maîtrise incontestée. Nul autant que lui ne donnait à Beethoven sa puissance ; à Mozart sa grandeur ; à Schumann sa profonde sentimentalité ; sa simplicité, sa libre allure, à Rameau, et, par-dessus tout, sa fantaisie savante à Bach. Jamais, depuis, je n’ai entendu personne exécuter une fugue de Bach comme Hans de Bulow.

Sa mémoire était telle qu’il pouvait jouer durant tout un concert, deux ou trois heures, sans un morceau écrit. Délivré du souci de la lecture, il paraissait improviser. À mesure qu’il