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s’accoudait au bras du canapé sur lequel il s’asseyait. M. de Yturri, un ami et moi formions devant lui une manière de demi-cercle. D’une voix claire, aiguë souvent et perçante, qui monte, monte, puis retombe soudain, M. de Montesquiou commença à parler, et, les yeux fermés, je me figurais, avec quelque imagination, transporté dans une salle de New- York et écoutant sa dernière conférence.

« On voyage, fit-il, pour observer, ou, si je puis ainsi dire, pour s’exporter. Or, moi, je projetais, depuis trois ans déjà, d’aller parler, à un peuple d’hommes d’affaires, de littérature et d’art, à ce point de vue très raffiné, qui m’est spécial, et que mes livres définissent et exposent. Des mois passèrent, et je documentais le livre que je prépare sur la comtesse de Castiglione, cette figure de beauté, quand j’appris que miss Marbury était à Versailles. Miss Marbury est, en Amérique, l’agent le plus dévoué des auteurs dramatiques français. Je la vis, et l’entretins de mon désir, elle distingua aussitôt une occasion de piquer la curiosité des Américains. Il eût été fou de tenter une pareille entreprise dans un pays latin, riche des souvenirs du passé et des trésors du présent, chez des hommes cultivés et avertis. Mais débarquer sur la terre du business et du trust, où tout se mêle et se confond, le laid et le beau, l’absurde et l’intelligent, où le goût le plus détestable s’unit au goût le plus juste, où l’ignorance la plus complète accompagne la connaissance la plus profonde, et causer, pour leur amener des admirateurs, d’ar-