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dire, les vers m’apparaissent comme un moment unique de sincérité… Ils donnent toujours de la joie, jamais de la douleur, à cause de l’exaltation qu’ils produisent. La prose, c’est tout le contraire. Elle est le seul vêtement de tout ce que la vie a de douloureux. Le roman, c’est toute la vie, et puis, il y a une chose que je voudrais vous expliquer, et je crains de n’y pas réussir. En écrivant un roman, je ne poursuis que l’exactitude de l’émotion… comprenez-vous ? Tenez, il y a une foule de termes qui ne me semblent plus exacts. Alors, j’en prends d’autres, et je les dévie de leur premier sens. Par exemple, on s’est beaucoup moqué de moi, parce que j’ai écrit « des yeux sifflants » : on a eu tort. Les yeux que je voulais décrire, je les voyais sifflant. Un autre aurait écrit « perçants », ce n’est pas la même chose. Je ne suis pas un écrivain, j’écris comme je sens, tout bonnement.

L’aiguille recourbée de la pendule de laque vert marquait une heure. Dans l’antichambre, une voix d’enfant perla. Mme  de Noailles abandonna son fauteuil, et, comme nous arrivions près de la porte, elle leva vers moi ses grands yeux où passait quelque inquiétude :

— Alors, vous allez raconter tout ce que je vous ai dit sur moi ? Mais j’ai très peur maintenant, on va me blâmer d’avoir tant parlé.

Je répondis avec simplicité :

— Je dirai même que vous êtes anarchiste, et que vous rêvez la mort par la bombe de tous les aristocrates et de tous les bourgeois.