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dont la langue l’avait séduit, en même temps que leur observation exacte ou évocatrice, et M. Paul Adam, qui est à l’heure actuelle, je crois bien, notre plus puissant romancier, ne regrette point les années qu’il consacra à décrire, pour les lecteurs d’un journal, d’émouvantes scènes d’actualité. Quelle joie pour un écrivain curieux et épris de réalité, que de saisir chez lui, dans le cadre familier qu’il s’est composé, dans ses attitudes, ses gestes, ses tics même, un homme sur lequel pour quelques jours l’attention se fixe !L’intérêt de ses paroles ne consiste pas tant dans les paroles elles-mêmes que dans la manière dont elles sont prononcées. L’un est solennel, l’autre gai, un troisième prime-sautier. L’un pose devant le visiteur, l’autre s’abandonne, un troisième se défend… Le portrait, tel qu’on le conçoit et qu’on le publie à l’ordinaire, est froid, abstrait, et, pour ainsi s’exprimer, mort. Il me rappelle ces tableaux de famille, où les ancêtres s’offrent à l’admiration affectueuse de leurs descendants, graves, compassés, fuyant le naturel comme une monstruosité. L’interview, au contraire, devait représenter l’interviewé vivant, le peindre avec cent détails, toujours caractéristiques, ne lui accorder grâce d’aucun de ces gestes, d’aucun de ces mots, qui éclairent soudain un tempérament, détails que l’observation choisit et accumule, mais qui se groupent, s’unifient, constituent un homme que nous voyons marcher, parler, agir, une nature dont nous comprenons toutes les manifestations et qui devient à l’instant différente à jamais de toutes les autres.

La Fortune, déesse aveugle, et néanmoins clairvoyante, réalisa ce rêve un peu audacieux. M. Henry Simond, directeur de L’Écho de Paris, était, en même temps que moi, sollicité par la même pensée. Il voulut bien me prêter, pour mes essais, les premières colonnes de son journal. La bienveillance que rencontrèrent ces articles auprès des lecteurs m’a encouragé à les publier en volume. Je les livre à l’incertitude du sort, trop heureux d’avoir pu, en les écrivant chaque semaine, me créer l’amitié de certains de ceux que j’ai tâché de présenter le plus exactement.

P. A.