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qu’elle eût aperçu dans une petite loge près de la scène le comte, dont l’ami bavard lui avait annoncé l’arrivée. Elle continua à parler, mais les yeux fixés sur son ancien amant, tantôt baissant, tantôt élevant la voix, comme si un ouragan passant devant sa bouche eût emporté les mots çà et là. Elle arriva ainsi jusqu’au passage :


Tout m’afflige, et me nuit, et conspire à me nuire.


Alors le parti ennemi ne put y tenir plus longtemps. Rires et sifflets s’unirent pour achever sa honte, et ses amis mêmes furent obligés de se taire, tant ce mauvais accueil était mérité.

Le comte se trouvait dans la plus triste position. Melück le regardait toujours avec une effrayante fixité ; elle lançait à la comtesse des regards furieux de jalousie, tandis que celle-ci, entendant le bruit commencer, priait son mari de lui tenir parole et de siffler avec tout le monde. Il fallait le faire, car chez lui l’honneur passait avant tout, et il l’avait juré ; malgré son désespoir, il siffla une ancienne maîtresse qu’il avait aimée !

Melück, croyant que Saintrée sifflait librement, lui lança un tel regard, qu’il en fut ébloui pendant quelques moments, et qu’il tomba en proie à une attaque de nerfs. Pendant ce temps, Melück