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LUC

sait que ce n’est pas lui, Lucet, le coupable… pourquoi l’accabler de sa froideur !… Lucet blasphème en disant cela. Il le sait. Il sait bien qu’il fallait sauver celle dont l’amour avait débordé sur lui, humble, et comblé de sa joie les tristesses de ses désirs…

Luc sait les angoisses de Julien, mais Edouard qui les lui apprend n’en connaît pas, ne peut pas en deviner l’origine. Luc ignore la cause de ces angoisses actuelles du jeune peintre comme il a ignoré celle des premières joies de son mariage, et comment, dans les angoisses présentes, son image chérie, vivant reproche qui le harcèle, hantise terrible qui vainc son indépendance, comment cette image est aussi pour Julien un ravissement égal dans la douleur et la félicité. Julien éloigne de lui le calice ; mais si le calice contient l’amertume, le goût savoureux d’un amour impossible en jaillit aussi ; et l’âme de Julien s’exalte dans la réalité prochaine de l’irréalisable…

Jamais, plus qu’au moment où le fruit adoré de sa chair va s’épanouir et naître et crier au jour, l’image de Luc ne lui paraît aussi précieuse ; jamais la vie, l’être vivant, à ses yeux d’artiste ne révèle une plus complète affinité avec les sentiments élevés, les sensations voluptueuses qui font, en nous, se pâmer toutes nos facultés aiguisées… Et cet être, ce jeune homme très beau, ce Daphnis qu’il contemple dans son atelier, ce Chérubin, ultime expression de la grâce spirituelle dans la beauté, cet être le gêne, qu’il a aimé jusqu’à respecter l’œuvre intégrale de sa chair en celle dont il a fait son épouse ; pour que cette chair se vivifie, bien à lui, essence de ses sens, fécondité de son sang, forme de ses formes parfaites, intelligence