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LUC

Bréard prolongent leur séjour à Moult Plaisant sur la prière de Mme  Marcelot.

Julien est là, très bon, lui, très affectueux, un peu plus sombre et moins inabordable pourtant. Nine sent bien que si elle osait il serait accueillant et doux et fraternel, parce qu’elle le voit souffrir. Nine avait vu cela depuis longtemps, mais depuis qu’elle-même souffre atrocement elle ne voit pas, elle sent cela.

Julien a de beaux yeux, comme Luc, moins jolis, meilleurs ; moins railleurs, plus fins ; moins spirituels, plus sûrs ; moins enfants, plus… oui, plus fraternels. Mais c’est une folie, pense-t-elle, de songer à l’instruire de ces craintes qui maintenant tenaillent sa chair et torturent par avance son jeune ventre encore tout exténué et ravi des audaces de Luc. C’est une folie !… La honte horrible peuple ses rêveries ; et le calme de tout autour d’elle meurtrit, à force d’indifférence ignorante, son cœur et sa pensée… Et quand elle relit son livre dans la bibliothèque, la certitude de la maternité fatale crispe ses membres et tord en la froide et inéluctable obsession de la honte — du crime — sa pensée effrénée… Julien rôde autour d’elle, et leur double contrainte se trahit mutuellement. Nine a peur de ces yeux qui parfois s’e’teignent comme sous une angoisse sans répit, et parfois s’allument de flammes révélatrices d’une fièvre douloureuse. Julien rôde ; il frémit de prendre l’ultime résolution qui va sacrifier son bonheur, son honneur peut-être, à l’affection de ces deux enfants : Nine et Lucet…

Un jour, il ose, tremblant, aborder la jeune fille, ignorant que ces paroles qu’il va lui dire sont atten-