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LUC

dor. Luc traverse la haie. Des femmes, des jeunes gens prononcent déjà son nom, défiguré sur l’affiche en Luc Bruay à cause des règlements du Conservatoire. Même, en s’éloignant, il entend que les jeunes gens se chicanent sur son identité : est-ce Iohanam, n’est-ce pas Iohanam ?…

— Sûr que c’est lui ! on dirait une gonzesse tellement qu’il est bath, — clame, renseigné et d’une voix canaille, un semblant de petit ouvrier, vague camelot, ouvreur de portières, ramasseur de mégots, figurant, au bonheur du jour.

Oh ! ce soir paisible où les lumières percent l’obscurité, comme il abandonne Luc à l’indéfinissable solitude de l’esprit, du cœur, de la pensée, de la chair ! Il y a des « femmes » plein les trottoirs… Luc pense à se vautrer ; oui, oui, à se vautrer ; pas à s’amuser, non ; à se vautrer pour reprendre pied sur la terre, pour humilier ses rêves et son corps, pour dissiper l’énervement de cette soirée dans laquelle enfin ! enfin ! le petit enfant de chœur a vu se réaliser quelque chose des désirs qu’il croyait impossibles. Il vient de grandir de partout. Oh ! oui, il y en a des femmes ! plein les trottoirs. Déjà celles de la brasserie à côté du théâtre l’avaient attiré par la violence même du dégoût qu’elles lui inspiraient ! Luc prend sur le boulevard un omnibus de la gare Saint-Lazarre ; il rentre chez ses parents à Nanterre. L’omnibus est complet dessus, il reste une place dedans. Les gens sont affalés sur les banquettes. Pas un ne se doute, dans sa veule demi-somnolence, de ce qu’est le petit voyageur monté à l’instant, ni quelle splendeur il porte en lui et quels exquis tourments de joie deux mille per-