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LUC

que cette vierge charmante pourrait être à son Lucet, — et qu’il n’a pas le droit de la lui prendre…

Julien voudrait parler ; il se tait ; il refoule ces phrases aimables d’un respect ambigu toujours écoutées d’une femme, même quand elle se défend de vouloir y répondre, et garde le plus jalousement sa dignité. Jeannine seule lui paraît digne de faire valoir les attraits d’un sexe auquel sa sauvagerie hautaine s’est toujours refusée. Il se fait doux avec elle, presque câlin. Ses beaux yeux de mélancolie, tout à l’heure brouillés de larmes, daignent voir : Nine est jolie ; les autres femmes auprès d’elle sont maniérées, mignardes et d’une énervante complication. Nine est ouverte et saine ; sa bouche rougissante, ses prunelles caressantes, son front chargé d’une impeccable coiffure la font belle et désirable et d’une netteté de lignes dont Julien se veut émouvoir… dont Julien s’émeut…

Des sensations lointaines se révèlent à lui, dont il sait la source possible aussi en Lucet, et quelle magie de formes, quelle affinité de causes les peuvent éveiller en son doux ami comme en lui-même ! La joliesse de Nine force l’admiration, l’amour dont il se défend pour aucune autre créature. Mais Luc peut aussi subir, subit déjà peut-être les mêmes attirances que dégage la juvénilité frais épanouie de Jeannine… Dans le chaos où se rencontrent et se heurtent, inséparables et pourtant violemment opposées, les exigences précises de sa chair et les raisons confuses de son esprit — les images de Nine et de Lucet se mêlent. La possibilité de leur amour lui inflige la plus horrible torture. Mais parce que ces deux êtres chéris se