Page:Académie française - Recueil des discours, 1890-1899, 1re partie, 1895.djvu/94

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prendrait — oh ! à très petite dose — chez ce moqueur, extra-spirituel aussi, et en avance sur son siècle, qui s’appelle Gyp…

Mais cette concession hésitante est la seule que je fasse à ceux qui le dénigrent, et j’ajoute qu’elle n’inquiète en rien mon affectueuse et complète admiration pour lui : les plus belles choses d’hier tombent toujours dans une défaveur momentanée ; mais elles reprennent leur charme ensuite, dès que ce hier, qui fait si vite, commence un peu à devenir le passé

Et maintenant j’ai dit de mon mieux ce que je pensais de son œuvre, et je m’effraie de l’avoir dit si imparfaitement.

Et je songe avec mélancolie à ce plus grand silence qui va se faire inévitablement sur lui, à la fin de cette journée, jusqu’au jugement de l’avenir… Oh ! je n’entends pas par ce mot l’avenir très lointain : qui ose y songer, à celui-là ; c’était bon aux œuvres antiques de traverser les immenses durées ; mais nos œuvres modernes seront toutes emportées vite… Non, j’entends seulement l’avenir très voisin, celui de demain qui arrive, le siècle prochain et voilà tout. Ce mystérieux XXe siècle va bientôt regarder dans le nôtre, pour y rechercher ce qu’il a eu d’un peu grand. Toute notre littérature, pour laquelle nous nous disputons si fort, va passer à ce crible des années, qui laisse tomber dans le vide sans fond les petites choses, la profusion des œuvres impersonnelles, banales, creuses, boursouflées d’habileté seule, pour ne retenir que celles qui valent… Eh bien, dans le crible, resteront ses œuvres à lui, parce qu’elles ont précisément cette profondeur que d’aucuns