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avait le magique talent de donner une vie si intense, qu’il commençait à respirer un peu et à moins souffrir. Et bientôt, ces figures, nées de lui, lui semblaient existantes tout à fait. Avec Mme Octave Feuillet, toujours intimement associée à ses travaux, il causait de ces charmants fantômes comme s’ils eussent été en chair et en os. Puis, quand le livre était achevé, quand il avait mis au bas le mot : « Fin », il éprouvait une impression d’abandon et de solitude ; — une impression de désespoir même, si le dénouement avait été cruel ; il versait de vraies larmes sur ces femmes de rêve qui, depuis tant de mois, faisaient partie de sa vie. Et alors, il lui arrivait de demander à Mme Feuillet, très affectueusement, avec beaucoup de sérieux et avec tout juste l’imperceptible et fin sourire qu’il fallait pour enlever à la question ce qu’elle aurait eu d’enfantin : « Tu n’en es pas jalouse au moins ? »

Ses inquiétudes, après, quand l’œuvre était lancée, devenaient terribles. Pour un article méchant, pour une injure que lui jetait un journal, il lui venait des nuits d’insomnie, de véritables accès de fièvre ; il n’avait pas vis-à-vis de ces choses, l’insouciance qu’il faut.

Dans toute existence humaine qui est un peu longue, qui n’est pas tranchée, brusquement, en pleine jeunesse, il y a presque toujours une apogée, une heure plus lumineuse, — et ensuite un triste déclin.

Son heure rayonnante, à lui, fut celle où il vint s’installer, comme bibliothécaire, dans le beau pavillon de Diane, au palais de Fontainebleau.