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sion que je me rapproche un peu à vos yeux de celui dont le départ m’a ouvert la porte de votre compagnie, Messieurs, et dont je suis encore confus d’occuper la place.

Des différentes légendes, que mon constant éloignement a laissées se former autour de moi, et qui sont en général pour faire sourire, celle-ci par hasard s’est trouvée fondée : je ne lis jamais. C’est vrai ; par paresse d’esprit, par frayeur inexpliquée de la pensée écrite, par je ne sais quelle lassitude avant d’avoir commencé, je ne lis pas. Ce qui n’empêche que, si par hasard j’ai ouvert un livre, je suis très capable de me passionner pour lui, quand il en vaut la peine.

Qu’on me pardonne mon insistance sur ce point ; elle est pour m’excuser d’avouer qu’avant mon élection à l’Académie française je ne connaissais d’Octave Feuillet que deux livres, lus dans mon extrême jeunesse, il y a quelque vingt ans. — Lus avec passion, par exemple, dans le calme des soirs en mer, à bord du premier navire qui m’emporta vers ces pays de soleil, rêvés depuis mon enfance. Ils s’intitulaient Sibylle et Julia de Trécœur.

Des années encore passèrent. Et enfin, arriva pour moi l’instant, si imprévu et si singulièrement amené, où je livrai au public, sans oser d’abord les signer d’aucun nom, ces fragments du journal de ma vie intime qui ont été mes premiers livres.

Au lendemain de l’apparition de ces œuvres de début, remplies de maladresses et d’inexpérience, je passais à Paris, entre deux longs voyages. Déjà très étonné, et un peu charmé aussi, d’apprendre qu’on m’avait lu, j’éprouvai