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haut du vieil Alger, dans ces quartiers morts et ensevelis de chaux blanche qui entourent une mosquée antique et très sainte : un des lieux du monde où j’ai toujours rencontré le sentiment le plus intime, et aussi le plus calmé du néant des choses terrestres…

Le soleil baissant, je redescendis vers le port, pour regagner mon navire où m’appelait un service de nuit ; avant de rentrer cependant, je voulus aller au bureau de la marine, où l’on porte les dépêches qui nous sont destinées, pensant bien que quelque ami aurait pris soin de me dire quel était l’élu nouveau et combien de vos voix, Messieurs, s’étaient égarées sur le marin errant que j’étais. — Alors, pour me faire conduire à ce quartier solitaire du vieux port où le bureau de la marine est établi, je pris une barque sur le quai, une lilliputienne barque, la seule qui se trouvait là, menée par deux rameurs comiques, que je vois encore, et qui étaient de tout petits enfants. — Il était déjà fermé, ce bureau, quand j’arrivai ; un matelot, qui montait la garde aux environs, après avoir trouvé à grand’-peine une clef pour l’ouvrir, chercha, dans l’étagère des lettres, la case réservée à mon navire : elle était remplie d’un monceau de petits papiers bleus qui, depuis deux heures, n’avaient cessé d’arriver à mon adresse, — et, au lieu d’une dépêche que j’attendais, ce matelot, très étonné, m’en remit de quoi remplir mes deux mains.

J’avais compris, avant même d’avoir déchiré la première. Et une sorte d’éblouissement me vint, qui était plutôt mélancolique et ressemblait presque à de l’effroi…

Je remontai sans mot dire dans ma très petite barque à équipage d’enfants, qui en vérité était maintenant bien