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DISCOURS DE RÉCEPTION

retours, il l’a trouvée constamment fidèle et il n’a connu aucune des amertumes qui accompagnent la renommée. Enfin, au lendemain de sa mort, devançant la marche du temps, il apparait dans une sorte de lointain, au-dessus des compétitions et des luttes, en possession d’une gloire consacrée désormais par la postérité.

Une telle destinée est rarement promise au talent seul. Elle suppose d’ordinaire, à un égal degré, les qualités du cœur et l’élévation du caractère, sans lesquelles le talent est souvent arrêté dans son essor. Émile Augier avait tous ces dons réunis. Il n’était pas seulement un poète et un écrivain, mais il était aussi, et avant tout, un moraliste et un philosophe, un homme de bien et un penseur profond. Il s’est servi du théâtre comme d’un moyen souverain pour mettre en relief certaines idées maîtresses et les répandre sous la forme où elles pouvaient être le plus aisément acceptées. Le succès purement littéraire a toujours été sa moindre préoccupation ; il le rencontrait sans le chercher. Ce qu’il poursuivait ardemment, c’était le succès moral, c’est-à-dire le triomphe de la vérité et l’amélioration du milieu social.

Cette tendance était si marquée chez lui qu’elle s’observe jusque dans la partie de sa vie qui échappait aux regards, dans la partie méditative et solitaire, qui ne s’est pas traduite en écrits pour le dehors, et dont seuls ont eu connaissance quelques intimes, ou dont témoignent des notes éparses pieusement recueillies. On y voit qu’Émile Augier était dévoré de la passion du bien en toutes choses, qu’aucun problème ne lui était étranger et que la politique même, dans ce qu’elle a d’organique et de fonda-