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discours de réception.

goûts et les idées d’un homme. Trop souvent cette culture hors de saison ne produit que des fruits trompeurs dans leur précocité ; mais une nature généreuse et privilégiée sait garder et mûrir tous les germes qu’on lui confie. Enfant, Charles Nodier avait déjà les habitudes studieuses, les préférences littéraires, et jusqu’aux manies de l’oratorien. Celui-ci aimait les vieux livres, les éditions rares ; il en faisait collection, et mieux encore, il les lisait. Nos auteurs du XVIe siècle étaient surtout l’objet de ses prédilections. Son fils pouvait-il ne pas les partager ? Plus d’une fois on surprit l’enfant, loin des jeux de ses camarades, lisant un in-folio presque aussi grand que lui. « La première fois que je le vis, » me dit M. Weiss, le savant bibliothécaire de Besançon, « il avait huit ans, et portait sous son bras un volume de Montaigne. » Il apprit à lire dans les immortels Essais, et peut-être parla-t-il la langue de Montaigne à un âge où les autres enfants bégayent à peine celle de leurs nourrices.

Vers la fin du XVIIIe siècle, la ville de Besançon conservait encore des souvenirs singuliers de la domination espagnole. À voir ses innombrables couvents, ses palais aux balcons grillés, ses confréries de pénitents de toutes couleurs, on aurait pu se croire dans une ville de Castille. Les mœurs de ses habitants étaient empreintes d’une austérité qui n’avait rien de français. D’anciennes ordonnances défendaient aux juifs de demeurer plus de trois jours dans l’enceinte des remparts. La société était divisée en plusieurs castes, soigneuses de s’isoler par des barrières infranchissables. D’un côté, des préjugés hautains, de l’autre des espérances insensées ; partout des haines traditionnelles. Dans une telle ville, la première étincelle de la révolution devait exciter les passions les