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gieuses, ne possédant au surplus ni unité géographique ni intérêts communs, ce pays ne pouvait trouver, en l’absence de toute communauté historique, que dans la communauté de ses origines et de sa langue, la justification de ses désirs de cohésion nationale. Tandis que la France et l’Angleterre voyaient dans leur histoire se former et s’affermir de siècle en siècle leur conscience collective, l’Allemagne ne découvrait dans la sienne qu’une tendance croissante au morcellement et au particularisme. Pour arriver à ses fins et prendre en Europe la place qu’elle ambitionnait d’y occuper, il lui fallait, si l’on peut ainsi dire, contre son propre passé, invoquer la nature. Pour se donner la patrie qu’ils cherchaient vainement dans leurs annales, ses poètes, ses philosophes et l’innombrable légion de ses professeurs se réclamaient de cela seul que tous les Allemands possèdent en commun : le Deutschtum.

Mais le Deutschtum, même compris dans sa simple acception linguistique, déborde largement les frontières allemandes. Il recouvre une partie de l’Autriche, s’avance en Suisse, en Alsace et en Lorraine, occupe les rivages de la Courlande, de la Livonie et de l’Esthonie, émaille la Bohème de nombreuses enclaves, sans compter celles qu’il éparpille en Pologne et en Hongrie, et sans parler des millions d’émigrés qui l’ont transporté avec eux en Amérique. Dès 1813, Arndt se demande :

Was ist des Deutschen Vaterland ?

Et il répond :

So weit die Deutsche Zunge klingt

Das soll es sein,

Das, wackrer Deutscher, neune dem.

Des revendications de cette sorte étaient aussi menaçantes pour l’Europe que l’ambition napoléonienne. Le mysticisme pangermaniste apparut aux souverains, alors rassemblés au