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munauté de la race et de la langue. La seconde, c’est que la liberté politique ne constitue point un droit, mais qu’il la faut subordonner à l’intérêt supérieur de l’entité nationale. On aperçoit tout de suite où cela nous mène. L’une et l’autre de ces prémisses conduisent au dogme de la toute-puissance de l’État. Lui seul, en effet, peut « organiser » la vie de la nation conformément au génie de celle-ci. Pour qu’il puisse conserver intact le trésor de la tradition, garantir ses sujets des séductions ou des contagions du dehors, forcer les minorités ethnographiques que renferme chaque peuple à se courber sous la prépondérance de la race dominante, il est indispensable qu’il ne tienne son pouvoir et sa légitimité que de lui-même, et qu’élevé au-dessus de toute atteinte, échappant à toute ingérence, il n’ait à justifier l’autorité qu’il exerce et l’obéissance qu’il exige, qu’en s’affirmant comme l’incorporation du nationalisme. Dès lors, il appuyera nécessairement son pouvoir sur l’aristocratie, c’est-à-dire sur la classe sociale qui conserve le plus purement les traditions et les caractères de la race. Quant à la masse, il la soumettra par l’école, par la caserne, par l’administration, à un dressage pédagogique dont elle portera l’empreinte indélébile, et qui la disciplinera à son service, sous prétexte de la former ainsi au service et au culte même du « génie national ».

Remarquons avec quelle rigueur cette conception allemande de la nation s’oppose à la conception occidentale. Le contraste éclate partout. De ce que la nation est considérée, ici comme un groupement de citoyens, là comme une communauté de sang et de langue, tout le reste découle nécessairement : l’absolutisme de l’État, le caractère aristocratique et conservateur des institutions, et la pédagogie enfin, substituant à la libre pratique des droits et des devoirs civiques, une doctrine et une méthode officielles, enseignées d’autorité.

Que cette conception soit née en Allemagne, rien de plus aisé à comprendre. Morcelé depuis le XIIe siècle en une quantité d’États, déchiré depuis le XVIe siècle en deux confessions reli-