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velle synthèse de ces deux sentiments, dans laquelle tous les deux perdent leur caractère propre par la suppression de leur antagonisme, la synthèse d’une fraternité sociale, un nouvel amour, qui n’exigerait ni le sacrifice de mon moi propre pour autrui, ni la contrainte et la violation de mes sentiments personnels, ni le sacrifice du bien d’autrui pour le mien, serait donc libre de toute autorité de devoirs formels, serait un acte de pure bonté[1].

On peut donc considérer que la propriété commune ou la négation de l’ordre actuel, la fusion de l’individu avec la société dans tout le domaine de la vie extérieure étant le but économique du socialisme, est en même temps son moyen révolutionnaire pour l’émancipation totale de l’homme. Car toute transformation extérieure de la vie sociale, toute transformation des formes de son organisation, doit se retrouver dans l’élément réel de la société, dans l’individu humain, où elle ne possède qu’une valeur morale. Or, envisagé de ce côté, le communisme se présente comme la solution de cette lutte séculaire que l’être humain livre au monde extérieur, l’individu à la collectivité. Cela peut être formulé en trois postulats moraux, qui expriment le même rapport de l’individu avec son milieu social sous le régime des formes communistes de la vie. Premièrement : délivrance de l’homme du joug des choses, car tout le souci des conditions matérielles de la vie passe à la société, et par suite la satisfaction des besoins vitaux occupe une place minime dans la conscience humaine, quoique socialement un énorme travail soit consacré à ce but. (C’est le point capital du collectivisme, sa valeur économique). — Deuxièmement : délivrance du joug des instincts animaux, de l’instinct de la conservation, de la faim, lesquels, tout comme l’instinct de la respiration, passeront dans le domaine inconscient et perdront toute suprématie dans la vie consciente de l’homme, car l’instinct de la conservation n’étant plus entravé et violé par les conditions de la vie comme aujourd’hui, mais au contraire satisfait dans l’organisation sociale, disparaîtra en tant qu’un composant de l’âme, et avec lui tous les sur-produits psychologiques, qui se développent sur sa base, comme les sentiments d’égoïsme, d’orgueil, du plaisir de dominer les autres, de jalousie. — Enfin : délivrance de la contrainte sociale qu’est tout État, obligeant par la force physique de la police

  1. Je trouve chez P. Krapotktine la même idée, exprimée dans une belle image psychologique, sur l’homme qui sauve un enfant qui se noie. V. « L’Anarchie dans l’Évolution sociale », p. 23-5.