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disposition. Mais il faut croire que ma volonté était bien malade, car il me fut impossible de mettre un pied devant l’autre. Hadgi-Stavros m’enleva de terre aussi légèrement que nous cueillons un insecte sur un chemin. Je me sentis lier et déchausser avant qu’une pensée sortie de mon cerveau eût le temps d’arriver au bout de mes membres. Je ne sais ni sur quoi on appuya mes pieds, ni comment on les empêcha de reculer jusqu’à ma tête au premier coup de bâton. Je vis les deux gaules tournoyer devant moi, l’une à droite, l’autre à gauche ; je fermai les yeux, et j’attendis. Je n’attendis pas assurément la dixième partie d’une seconde, et pourtant, dans un si court espace, j’eus le temps d’envoyer une bénédiction à mon père, un baiser à Mary-Ann, et plus de cent mille imprécations à partager entre Mme  Simons et John Harris.

Je ne m’évanouis pas un seul instant ; c’est un sens qui me manque, je vous l’ai dit. Aussi n’y eut-il rien de perdu. Je sentis tous les coups de bâton, l’un après l’autre. Le premier fut si furieux, que je crus qu’il ne resterait rien à faire pour les suivants. Il me prit par le milieu de la plante des pieds, sous cette petite voûte élastique qui précède le talon et qui supporte le corps de l’homme.

Ce n’est pas le pied qui me fit mal à cette fois ; mais je crus que les os de mes pauvres jambes allaient sauter en éclats. Le second m’atteignit plus bas, juste sous les talons ; il me donna une secousse profonde, violente, qui ébranla toute la colonne vertébrale, et remplit d’un tumulte effroyable mon cerveau palpitant et mon crâne près d’éclater. Le troisième donna droit sur les