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LE FELLAH

Il sourit froidement, finement, en homme qui ne sait pas encore si l’on se moque de lui. Je m’expliquai. — J’admire qu’un vrai chasseur, et vous l’êtes, puisse achever sa prière sans distraction quand il entend la voix des chiens.

— Les mueddins m’ont appris que la prière est préférable au sommeil ; à plus forte raison est-elle meilleure que le plaisir.

— Oh ! j’avais bien compris que vous êtes musulman.

— Et cela vous étonne toujours un peu, n’est-il pas vrai ? Vous descendez de ceux qui disaient : « Peut-on être Persan ? »

— Nous ne sommes plus tout à fait aussi naïfs que les contemporains de Montesquieu ; on connaît un peu mieux les nations étrangères, et tenez ! sans savoir d’où vous êtes, je puis certifier que vous n’avez pas le type persan.

— Non, grâce à Dieu ! Les Persans sont des hérétiques.

— Alors vous êtes Turc ?

Il se recueillit un moment et répondit avec une émotion mal déguisée : « Les Turcs ont fait beaucoup de mal dans mon pays ; ils y feront peut-être un jour beaucoup de bien, si Dieu les conseille. C’est un Turc qui est l’héritier des khalifes et le chef de notre sainte religion ; c’est un Turc qui gouverne ma patrie et qui m’a ramassé à terre pour m’élever à la hauteur des hommes civilisés : que diriez-vous de moi si je mordais la main qui me nourrit ? Mais voici ces messieurs qui nous rejoignent ; veuillez accepter ma carte, elle vous dira d’où je viens et qui je suis. »