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CAUSERIES.

une fois de plus que l’homme recherche avec passion ce qui lui manque. On se régalait de laitage sous le règne du citoyen Marat ; on s’enivre de désintéressement lorsque les actions du Crédit international font cent cinquante francs de prime avant d’être émises.

Rien n’est plus dangereux que de peindre les hommes tels qu’ils sont, quand par hasard ils ne sont pas aussi jolis qu’ils voudraient l’être. Je voyais, ce matin même, dans l’atelier prodigieux de Carrier-Belleuse, le buste d’une riche et jolie marchande qui semblait marchander son propre portrait. L’artiste m’avoua que ce petit chef-d’œuvre était ce qu’on appelle au tribunal de commerce un laissé pour compte. Le modèle avait protesté contre la ressemblance en serrant les cordons de sa bourse : on aurait bien voulu ressembler à l’impératrice ou tout au moins à la duchesse de Morny. Il s’en est fallu d’assez peu que la société française refusât la livraison de l’Ami des Femmes, et laissât pour compte la pièce de Dumas fils. On disait dans les loges et dans les couloirs que l’auteur poursuit la vérité jusqu’à la barbarie ; qu’il déshabille son époque pour la fesser en public. Les modèles les mieux saisis, les mieux rendus, les plus vivants, les plus criants, les plus éclatants de ressemblance, refusaient, mordicus, de se reconnaître. Ils avaient le miroir devant les yeux, ils l’effleuraient du bout du nez, et criaient à