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Ce jour-là, Le Gall était ému… J’avais piteuse mine. Manifestement je « m’en allais » et pour de bon ! On ne doit pas mourir au sanatorium. Je partais à propos…

Gombot, mon voisin de lit, serviable et cordial, qui a « une sacrée garce de douleur à l’épaule », réfléchit. Mon ami Sabol que je ne ferai plus rire entre deux vigoureuses parties de jacquet, écarquille ses bons yeux bleus. Et le no 3, l’ineffable lycéen, d’« esprit supérieur », un doigt sur l’occiput, s’abîme en des contemplations éthérées…

Finies les longues causeries, les disputes animées ! Je ne serai plus des controverses bruyantes, du concert improvisé où chacun y va de son petit tour de chant. Ah ! les douces hilarités où nous plongeait la vieille infirmière anglaise, cocasse et stupide ! et les ébats ébouriffants de Marzin, le citoyen de Douarnenez qui, en chemise et bonnet de coton, la gaffe sur l’épaule, exécutait sur la terrasse, un pas inédit qu’il intitulait avec quelque ambition : Les Archers du Roy !

Ce qu’elle nous amusa, cette fameuse marche dont je ne donne pas les rimes par décence !

Un type, ce Marzin ! Communiste et mutin de la Mer Noire. Il prétendait que la marine « bretonne » était la première du monde ! Tirez les premiers, Messieurs les Anglais !… Marzin avait l’heur de résumer l’opinion générale et sur le départ de la major il conclut :

— Va te faire foutre, vieille vache !

… Tous les soirs, mes pommettes sont en feu. Ma vue se trouble, et, selon l’expression de Théo, le préparateur en pharmacie, je suis « pâle des genoux ». Théo, lui, était livide. Aujourd’hui il est sans doute incolore, sous six pieds de terre, dans quelque cimetière des environs de Pont-l’Abbé…

Des foins qui mûrissent exhalent un parfum de chairs inquiètes. Sur les pelouses, des fleurs éclatent de fraîcheur.