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chercha de la main, aux alentours. Après de pénibles efforts, il le découvrit et il se remit en route.

— C’est drôle, il me semble que je devrais être au Roc-Trévezel, soliloqua-t-il. Il ne reconnaissait plus son chemin. Il n’était pas sûr si le terrain grimpait ou descendait, s’il allait à droite ou à gauche. Il s’arrêta indécis et, une main sur le front, il tenta de découvrir des points de repère, mais aucune lumière ne trouait l’obscurité et Iann commençait à perdre la saveur de l’eau-de-feu.

— Ah ça ! me serais-je égaré ? se demanda-t-il, inquiet. Il se remit à marcher. Les guêtres se détrempaient et de temps à autre, des broussailles le griffaient, des rocs le heurtaient rudement. Alors, il revenait un peu sur ses pas et repartait à l’aventure dans la nuit. Les mollets se raidissaient et il se sentait faiblir. La neige tombait, tombait toujours. Quelque part, dans l’ombre, un loup hurla longuement. À cet appel, d’autres voix rauques et quasi humaines s’élevèrent dans les landes et la mélopée lamentable de la faim et de la misère s’enfla avec la bise dans les garennes immenses du vieil Arré. Inlassablement le vent qui chantait dans les ajoncs, accompagnait cette musique barbare. « Tiens, tiens, voilà Guillou qui s’éveille, murmura le montagnard, il doit donc être près de dix heures. » Il s’effraya. Il y avait au moins trois heures qu’il marchait ! « Où suis-je donc ? » Sourdement, l’angoisse le gagnait et son cœur se mit à battre à grands coups. Craintivement, il retint sa respiration et prêta l’oreille et ses oreilles ne perçurent que la plainte de la bise et de la complainte tragique des loups.

À l’aveuglette, il marcha longtemps, longtemps, les joues en feu et l’haleine saccadée. La neige, implacable, tombait toujours. Alors, dans l’interminable nuit noire et féroce où passaient des menaces et du mystère, dans l’interminable nuit pleine de lamentations, dans la nuit sinistre