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n’ayant ni bras ni jambes, retrouvant les uns et les autres, détalait précipitamment en se déshabillant.

— Ah ! Ah ! claironna Samm-laou, voilà un luron qui court rudement bien.

Et, pour jouir du coup d’œil, notre homme s’élança. Par malheur, il ne vit pas l’escalier et il roula au bas des marches avec plaies et bosses.

— Prenez en pitié le pauvre aveugle ! gémit-il. Profitant de la circonstance il fit valoir des larmes sincères et monnayait sa douleur physique. Les aumônes se mirent à pleuvoir dans son chapeau.

— Merci, Aotrou Sant-Herbot, murmura-t-il, vous aurez votre cierge ! ! !

Lorsque, du haut de la chaire, M. le recteur de La Feuillée eut annoncé à ses ouailles que, désormais, en remplacement de Pipi-Vraz, décédé pieusement (Doue d’hen pardono), Samm-laou le pouilleux remplirait les fonctions de bedeau et de sacristain de la paroisse, ce fut si comme le clocher s’était effondré sur les fidèles. La stupeur était telle qu’on entendit la vague sourde des cœurs. Puis un immense éclat de rire fit tonner la voûte de l’église. Samm-laou, sakrist ? allons donc ! autant dire qu’on changerait en tourbe le Roc-Trévézel !

An Aotrou Person, nullement ému de l’accueil réservé à ses paroles, répéta dans les mêmes termes sa décision. Un brouhaha de commentaires salua la péroraison du prêtre. Comment ? Samm-laou, Samm-laou le pouilleux, Samm-laou le chapardeur, le rusé mendiant habile aux expédients, vivant plus de rapines que d’aumônes, Samm-laou le mécréant, voué à Satan et à ses œuvres, pourrait-il concilier sa vermine et la dignité de sacristain ? Ah ! l’on allait voir de belles, pour sûr que l’on allait rire. Ce serait toujours une compensation de la façon déplorable dont le vagabond se tirerait d’affaire.