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Il est vrai que pendant un bon moment le sens de ce que je vois m’échappe.

Un commandant, tête nue, la tunique déboutonnée, gesticule sur le seuil. Il hêle des soldats qui passent, les pousse dans la maison.

Ces hommes reparaissent tenant au milieu d’eux Thèje et Sonia. Les deux sœurs sont livides. Et le commandant hurle cet ordre infâme à un sous-officier accouru : Slong !.. à la boucherie ! Que l’on coupe le poignet gauche à celle-ci pour avoir dénaturé le Deutchland uber alles et le droit à cette autre qui a trop bien joué la Marseillaise. Oh ! si mon revolver n’était pas resté en bas, je crois que j’aurais terminé les jours de ce bandit, ce qui eût inévitablement amené la clôture des miens.

À ce moment un médecin-major traverse la chaussée. La brute l’appelle : Major je suis obligé de punir, mais un Allemand ne saurait être inhumain. Accompagnez les coupables, vous ferez les pansements.

Quelques heures plus tard, les Allemands éloignés, je quittais Pilsk à mon tour. J’avais été admis dans la chambre des pauvres petites ladies. Pâles, haletantes de fièvre commençante, elles trouvèrent la force de me sourire en murmurant : Que le Christ de Pologne soit avec vous !

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Quinze jours plus tard l’armée russe avait brisé l’offensive allemande.

Elle repoussait l’ennemi en Prusse Orientale… À une journée de marche je suivais les troupes victorieuses : le canon guidant ma marche, des cadavres jalonnant ma route.

Nous atteignons un village. Oh ! on s’est battu avec acharnement ici. Maisons éventrées, entonnoirs creusant les rues de précipices, des morts, des armes brisées. Mais je reconnais cette bourgade, c’est Pilsk… Et voici la demeure de M. Solski. Qu’est-il advenu de lui, des pauvres Thèje et Sonia ? Je m’approche. Stupeur ! Le piano se fait entendre.