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Cette vue d’ensemble sur la position faite à la femme par la loi et la coutume nous montre qu’à la veille de la Révolution, la vieille formule romaine est toujours vraie et que, sur beaucoup de points, la condition de la femme reste inférieure à celle de l’homme, La lettre de la loi est évidente. Mais quel en est l’esprit ? Et Stuart Mill a-t-il raison d’écrire que, sous l’ancien régime, à la différence de ce qui se passe dans les états modernes, l’assujettissement légal de la femme est motivé par la seule raison d’état et qu’on ne se donne pas la peine de le justifier par des considérations hypocrites sur l’incapacité où, de par leur nature particulière, les femmes se trouveraient d’exercer le pouvoir domestique ou civil ; qu’en un mot le dogme de l’infériorité naturelle de la femme n’est pas encore né ?

Laissons pour le moment les écrivains et l’opinion publique dont la consultation, qui doit faire l’objet d’une partie de cette étude, nous permettra de mesurer avec toute la justesse désirable la part de vérité et d’erreur que contient la thèse de Stuart Mill. Il semble en tout cas, qu’elle rende un compte assez exact de l’attitude des jurisconsultes. Ni la loi, ni la coutume, ni en général leurs commentateurs ne s’étendent longuement sur les causes qui, d’après eux, justifieraient l’exclusion de la femme des offices publics, ou la privation, si elle est mariée, du droit d’administrer sa fortune. Lorsqu’ils le font, leurs explications sont confuses et embarrassées. Autorité maritale, conservation de la famille, décence, convenance, voilà leurs principales raisons. Certains même avouent que, par nature, la femme est aussi capable que l’homme et que le mariage seul la prive de cette capacité.

Mais la société, l’État reposent sur la famille fortement organisée et celle-ci n’existe, jugent-ils, que sous la condition du pouvoir presque absolu du père et du mari. L’assujettissement social de la femme suit logiquement sa subordination familiale.

Et si quelques jurisconsultes, tout comme les adversaires actuels de l’émancipation féminine, posent le dogme de l’infériorité naturelle de la femme, la plupart d’entre eux semblent en effet justifier la thèse de Stuart Mill et ne tenir l’assujettissement de la femme que pour nécessaire à la société et non pour conforme à la loi naturelle. Il ne faut pas oublier, cependant, qu’un grand nombre de coutumes encore sont l’expression du sentiment populaire qui, au moyen-âge, fut presqu’unanime, nous l’avons vu, à considérer la femme comme un être inférieur et que le droit écrit n’est souvent que la loi romaine, laquelle était tout imprégnée d’un état d’esprit semblable. C’est donc malgré tout et sans que les jurisconsultes,