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pays familial, à lui donner sa patiente énergie, son goût de l’ordre, son réalisme puissant.

Si bien des barrières légales, bien des préjugés continuent d’interdire à la femme l’entrée d’un assez grand nombre de corporations, les nécessités économiques, assez fortes pour faire craquer ces barrières, plus puissantes que ces préjugés, poussent la femme du peuple à prendre une part de plus en plus large à la vie commerciale et industrielle du pays. Dans tous les métiers, ou presque, la femme du maître est la collaboratrice toute désignée de son mari. On la voit dans tous les ateliers, dans toutes les boutiques, particulièrement à Paris, où sa vivacité, sa grâce, son art, dresser un étalage, sont l’un des attraits essentiels du commerce parisien. Elle pénètre dans la grande industrie qui, déjà, comme au siècle suivant et pour les mêmes causes : le développement du machinisme qui exige, dans les manufactures, un personnel plus nombreux, la nécessité pour la femme de fournir à la famille ouvrière où paysanne un salaire d’appoint, doit lui faire une très large place. La femme y reste d’ailleurs cantonnée dans les besognes inférieures. Elle est manœuvre plutôt qu’ouvrière qualifiée, car l’orgueil et la jalousie des « compagnons » lui interdisent les travaux les mieux rétribués et, d’ailleurs, son instruction professionnelle est à peu près nulle. Néanmoins, c’est l’appel aux masses féminines qui, seul, a permis — entre Colbert et la Révolution française — le développement des grandes industries, particulièrement des industries textiles. D’ailleurs la femme a déjà, tout comme en notre siècle, son fief économique où elle n’est plus simple manœuvre, mais ouvrière et maîtresse, où elle conçoit et exécute : le royaume de la mode, les industries de luxe. Déjà, l’ouvrière française et en particulier la Parisienne sait, avec son bon goût et son sens artistique innés, créer les merveilles de la toilette féminine qu’aucun pays ne peut produire ; déjà ses modèles, après avoir paré grandes dames et bourgeoises, s’en vont par delà les frontières, par delà les mers, porter dans les pays lointains un peu du rayonnement de la France. Déjà, le mouvement d’affaires auquel donnent lieu, entre la France et les pays voisins, les industries de luxe, est l’un des éléments les plus importants du commerce de notre pays. Or, ces industries de luxe étant, pour la plus grande part, féminines, on voit quelle large place revient aux femmes dans la vie économique de la France. Et qui évaluera à sa valeur le travail obscur et patient des paysannes, ce travail qui, au xviiie siècle, pas plus qu’aux autres époques, n’a d’histoire mais qui, s’associant au travail du paysan, a nourri, enrichi la France ? Qu’on veuille bien réfléchir et l’on s’apercevra