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raines, mais même la possibilité d’un gouvernement gynécocratique. Le témoignage de l’histoire, où apparaissent des figures comme celle de Catherine de Médicis, l’observation quotidienne qui nous montre tant de « maisons, de biens considérables, de terres, de campagnes conduits par des femmes », plaident en faveur de la capacité politique du sexe faible.

Bien que, somme toute, assez rarement agitées, ces idées ne pénétraient pas moins dans l’opinion et on jugeait leur exposé susceptible d’intéresser le public. Plusieurs collaborateurs anonymes, d’ailleurs, de l’Année littéraire, exposent des thèses vraiment féministes : « Que les femmes, écrit l’un d’eux, sortent du cercle étroit où elles sont renfermées ; qu’elles ne craignent point le ridicule que les femmes jalouses de leur mérite ou des hommes incapables de le sentir voudraient jeter sur elles ; qu’elles travaillent avec les hommes et elles trouveront des forces pour partager avec eux la gloire du génie et le gouvernement du monde[1]. » C’est donc bien une exhortation à toutes les femmes à se lancer dans la vie publique. La question même a été portée au théâtre. Voltaire l’a fait dans Tanéride. L’un des héros de cette pièce, Argire, évoque ces climats :

.................
Où le sexe élevé, loin d’une triste gêne,
Marche avec les héros et s’en distingue à peine.

Et la fille de celui-ci, Amenaïde, fiancée malheureuse de Tancrède, que celui-ci croit coupable d’avoir conspiré et qui manqua d’être, de ce fait, condamnée, réclame contre l’injustice des lois qui permettent à la femme la honte, non la gloire :

Et le sexe en ces lieux, conduit à l’échafaud,
Ne pourra se montrer qu’au milieu des bourreaux.
L’injustice, à la fin, produit l’indépendance !…

Olympe de Gouges n’a-t-elle pas, plus tard, paraphrasé ces vers, lorsqu’elle a dit : « Les femmes doivent avoir droit à la tribune comme elles ont droit à l’échafaud !… » Les Amazones, de Mme  du Bocage, tragédie qui obtint un certain succès d’estime, met à la scène un royaume des femmes et, bien que l’auteur ait voulu nous montrer, tel plus tard Marcel Prévost dans les Vierges fortes, l’orgueil de l’indépendance féminine vaincu par l’amour, elle ne manque pas de mettre dans la bouche de ses héroïnes, mainte profession (1)

  1. Année littéraire, 1770 : Lettre à Fréron.