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l’immobilise et déforme ses membres. Enfin, la mode les habituant à une liberté croissante et l’enfant qu’elles ne nourrissent plus, ne surveillent plus, leur paraissant encore une gêne trop grande, « les femmes cessent d’en vouloir faire ». De là, la dissolution de la famille, dont l’enfant est la clef de voûte ; de là, la corruption des mœurs, la mère repoussant son devoir pour de frivoles plaisirs et le père désertant le foyer ; de là, le dépeuplement de l’État. Mais que « les mères daignent nourrir leurs enfants, et les mœurs vont se réformer d’eux-mêmes, le sentiment de la nature se réveillera dans tous les sexes…, les hommes redeviendront pères et maris. L’État va se repeupler ».

Le rôle qui incombe à la mère est double : elle doit elle-même nourrir son enfant, elle doit former son esprit et son caractère et lui donner ces premières notions sur toutes choses qui, plus tard, lui permettront de tirer profit des enseignements de ses maîtres.

De cette première éducation dépend tout l’avenir de l’enfant et de l’adolescent, donc de l’homme. La première éducation est celle qui importe le plus, et cette première éducation appartient exclusivement aux femmes. Aussi Rousseau conseille-t-il aux pédagogues de dédier aux femmes leurs traités d’éducation. Comme nous l’avons vu, son conseil a été largement suivi. Ainsi Rousseau, qui veut faire de la femme la servante docile de l’homme, relève cependant sa dignité en exaltant la mère. Sur ce point il se montre, de loin il est vrai, précurseur des saint-simoniens. « Les lois, toujours si occupées des biens et non des personnes, parce qu’elles ont pour objet la paix et non la vertu, ne donnent pas assez d’autorité aux mères. Cependant, leur état est plus sûr que celui des pères, leurs devoirs sont plus pénibles, leurs soins importent plus au bon ordre de la famille. Généralement, elles ont plus d’attachement pour les enfants » ; et ceux-ci, en retour, lui doivent plus d’amour encore qu’à leur père et plus de respect. « Il y a des occasions où un fils qui manque de respect à son père peut, en quelque sorte, être excusé. Mais si dans quelque occasion que ce fût, un enfant était assez dénaturé pour en manquer à sa mère, on devrait se hâter d’étouffer ce misérable, comme un monstre indigne de voir le jour[1]. »

Il ne faudrait pas d’ailleurs demander à Rousseau de préciser de quelle manière on pourra relever l’autorité maternelle. Car si, emporté par son enthousiasme, il chante dans l’Émile le panégyrique de la mère, il n’entend en aucune manière diminuer, au profit de sa compagne, l’autorité du paterfamilias. Et, dans sa Politique,

  1. Émile (Œuvres complètes, éd. de 1846).