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objet, c’est-à-dire de l’amélioration de leur terre, se voient peu, sont à l’abri de l’ennui, par conséquent du dégoût. S’il n’en est pas de même dans les professions du sacerdoce, de la magistrature et des armes, c’est qu’en ces diverses professions les époux ne sont pas nécessaires l’un à l’autre. » Tirons la conclusion qu’Helvétius ne tire pas, mais qui ressort nettement de son ouvrage : Dans la société actuelle, qui a dépassé le stade agricole, l’indissolubilité du mariage n’est plus une nécessité et le divorce doit être établi. Somme toute. Voltaire et Helvétius restent assez superficiels ; ils indiquent plus qu’ils ne développent leurs idées.

Historien et juriste, Montesquieu examine la question sous des divers aspects. Pour lui, le divorce a maints avantages. Le plus grand est de développer l’attachement réciproque des époux qui, convaincus qu’ils agissent librement en conservant le lien conjugal, en supportent plus patiemment la gêne.

« Il n’en est pas de même des chrétiens (c’est un personnage des Lettres persanes qui parle) que leurs peines présentes désespèrent pour l’avenir » et qui « ne voient dans les désagréments du mariage que leur durée et pour ainsi dire leur éternité… ; de là les dégoûts, les discordes, les mépris et ces séparations intérieures, aussi fortes et peut-être plus funestes que si elles étaient publiques[1] ». Ce sont là des remarques d’une fine psychologie et qui reposent sur de justes observations. Le divorce, suivant Montesquieu, n’est pas moins favorable au développement de la population. Car, dans les ménages indissolubles, il arrive trop souvent que l’un des deux conjoints, impropre « par son âge ou son tempérament au dessein de la nature », ensevelisse l’autre avec elle et le rende aussi inutile qu’elle est elle-même. « C’est là, dit. Montesquieu, l’une des causes les plus graves de l’insuffisant accroissement de la population parmi les nations chrétiennes. » Hypothèse sans doute gratuite, mais que nous verrons reprise par d’autres auteurs.

Le divorce est enfin un moyen pour la femme d’échapper à la tyrannie masculine. Sur ce point, Montesquieu, en qui les féministes ne reconnaissent pas un assez grand précurseur, est singulièrement libéral. Non seulement il préconise le divorce par consentement mutuel, mais il voudrait que dans les pays et les sociétés où la femme est assujettie à son mari, elle bénéficiât du droit de répudiation que, dans ces sociétés, s’arrogent les seuls maris : « dans les climats où les femmes vivent dans un esclavage domestique, il

  1. Lettres persanes (Œuvres complètes, éd. Didot).