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raître… Lorsqu’on 1750, Rousseau fit paraître sa Nouvelle Héloïse, où il exposait à ses lecteurs son idéal littéraire du mariage, l’union de deux êtres qui se sont choisis librement, qui s’aiment et qui, se suffisant à eux-mêmes, vivent presque seuls, les esprits étaient déjà préparés, par les dramaturges, à accepter les idées qui, présentées seulement avec sérieux et grandiloquence et non plus sous la forme légère de la comédie, n’étaient pas absolument nouvelles pour lui.

En dehors de Rousseau et des quelques auteurs que nous avons cités, bien rares sont les écrivains, hommes ou femmes, qui voient, dans l’amour, la condition essentielle du mariage. Le xviiie siècle est, sauf exception, peu sentimental, et ce n’est certes ni Montesquieu, ni Voltaire, ni Helvétius qui auraient songé, comme l’ont fait des écrivains du xxe siècle, à faire inscrire dans la loi que le mari doit à sa femme protection et amour. Pour ces esprits positifs, le mariage est une société conclue par contrat et la question est de savoir quels sont les droits de chacun dos contractants, qui commande et, si la suprématie masculine se justifie en droit naturel, quelles seront cependant les garanties de l’épouse contre le despotisme marital. C’est sur ces points précis que portent les discussions.

Rousseau, pour qui la prééminence de l’homme est un dogme indiscutable, veut établir solidement et fonder en droit naturel cette suprématie et toutes les inégalités qui en dérivent et que la loi sanctionne. L’homme est le plus fort, le plus intelligent : sans ses bras, sans son cerveau, point de famille qui puisse subsister. Par son infériorité physique et intellectuelle, la femme dépend de l’homme qui (Rousseau n’a évidemment aucune idée du matriarcat) a été, dès l’origine des hommes, chef de famille. « L’homme dépend de la femme par ses désirs, la femme dépend de l’homme par ses désirs et par ses besoins » et « nous subsisterions plutôt sans elles qu’elles sans nous »[1]. Dépendante de l’homme et nettement son inférieure dans la société conjugale, la femme doit obéir.

Sans doute, Rousseau n’engage pas le mari à faire de son épouse sa servante, ni « un véritable automate ». Ce serait contre le vœu de la nature. L’affection qu’elle doit vouer à son mari lui fera non se résigner, mais accepter joyeusement cette dépendance, qui, librement consentie, n’est ni servitude, ni esclavage. Somme toute, les

  1. Émile.