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constamment l’attention de l’élève en éveil. Les conversations sur les éléments, sur la royauté et le gouvernement, sur les devoirs moraux, sont des modèles du genre[1]. Ils dénotent chez Mme  d’Epinay un véritable sens pédagogique. Et nul doute qu’Émilie ne représente une jeune fille bien plus instruite que Sophie et plus capable surtout de réflexion personnelle. Il s’en faut, cependant, que sa culture soit très étendue.

Misanthrope et misogyne, Restif de la Bretonne est, plus encore que Rousseau, porté à considérer l’instruction des femmes, qui, pour lui, a seule permis une émancipation contraire à la nature, comme la source de toute la corruption.

Et grand constructeur de théories, toujours prêt à réédifier le monde, il voit dans un système rationnel d’éducation la base de la « réformation des mœurs ».

L’éducation que prétend donner Restif à toutes les jeunes filles est destinée à faire d’elles des femmes soumises et de bonnes ménagères.

Emmaillotées, tandis que les garçons auraient les mouvements libres, leur subordination se marquera ainsi, de cette manière quasi chinoise, dès leur petite enfance. Élevées avec les garçons jusqu’à l’âge de neuf ans, à la campagne, jusqu’à douze ans, à la ville, elles s’habitueront de bonne heure à la déférence vis-à-vis de l’homme.

Tandis que Rousseau, tout en faisant prédominer les études pratiques sur les études théoriques, admet cependant que la femme acquière une certaine culture intellectuelle, Restif de la Bretonne, lui, proscrit formellement toute étude.

Aux filles d’ouvriers et de paysans, interdiction d’apprendre même à lire ; tout au plus les femmes de la bourgeoisie pourraient, elles, être autorisées à apprendre à lire, mais l’écriture est formellement proscrite, sauf pour les filles de marchands qui peuvent être appelées à tenir les livres de leur père. Mais les filles même « du premier ordre » n’apprendront pas à écrire, ne liront aucune œuvre littéraire ; elles s’abstiendront rigoureusement de tout plaisir intellectuel et mondain. C’est seulement après leur mariage que les femmes (et celles seulement du « premier ordre » ) pourront apprendre à écrire. À leurs époux de s’en charger « à leurs risques et périls »[2].

À quoi se réduira donc l’éducation des jeunes filles ?… Unique-

  1. Conversations d’Émilie.
  2. Le Gynographe ou la femme reformée, La Haye, 1777.