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Rousseau juge inutiles et nuisibles aux femmes, mais les sciences, les langues mortes et les langues vivantes, l’histoire moderne[1]. À peine admet-il qu’une femme — non une jeune fille — ait une légère teinture littéraire.

Aussi, et malgré l’admiration qu’il professe pour elle, est-ce une personne bien insignifiante que cette Sophie, type accompli de la femme pour Rousseau. « Sophie, dit-il en effet, a l’esprit agréable sans être brillant, et solide sans être profond ; un esprit dont on ne dit rien parce qu’on ne lui trouve jamais ni plus ni moins qu’à soi. Elle a toujours celui qui plaît aux gens qui lui parlent, quoi qu’il ne soit pas fort orné… ; elle souffre avec patience les torts des autres et répare avec plaisir les siens. Tel est l’aimable naturel de son sexe avant que nous l’ayons gâté.

« … Sophie a de la religion, mais une religion simple, ne connaissant de pratiques essentielles que la morale. Elle aime la vertu comme la seule route du vrai bonheur. »

En somme, l’éducation doit tendre à faire de la femme un être sans personnalité accusée — car une personnalité accusée en pourrait faire une rebelle à la loi masculine — reflétant par une sorte de mimétisme moral les sentiments de son milieu, de son entourage, cire molle, que le mari pourra modeler à son gré. Quoi qu’il en pense, Rousseau est, sur ce point, franchement réactionnaire. Il est bien en deçà de Fénelon, bien en deçà de Molière, dont l’Henriette, avec « ses clartés de tout », sa fine ironie, est, elle, une personnalité. Il faut remonter jusqu’à Xénophon et à l’Économique pour trouver un aussi terre à terre idéal de culture féminine.

Parmi les disciples de Rousseau, assez rares d’ailleurs sur ce point, puisqu’à la fin du xviiie siècle c’est l’enseignement encyclopédique des jeunes filles qui recueille l’universelle faveur, les uns, Mme d’Epinay est du nombre, sont séduits par les méthodes pratiques que Rousseau a voulu introduire dans l’enseignement féminin comme dans l’enseignement masculin ; d’autres, c’est le cas de Restif de la Bretonne, retiennent surtout par l’anathème que Jean-Jacques jette sur la femme « raisonneuse « et poussent ses théories restrictives à leurs dernières conséquences.

Mme d’Epinay, qui, sur la suggestion de Rousseau, se méfie d’une éducation purement livresque, juge possible de donner à la jeune fille des notions étendues de toutes choses, par une conversation d’allure socratique qui, habilement dirigée, va du connu à l’inconnu, s’élève des faits matériels aux idées générales et tient

  1. Nouvelle Héloïse, lettre XII.