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plus hautes conceptions de la philosophie. « Le siècle est passé, dit-il, où les femmes se croyaient nées exclusivement pour la coquetterie ; tout le ridicule que Molière et Despréaux ont jeté sur les femmes savantes a semblé justifier les préjugés de la barbarie… Aujourd’hui, l’esprit philosophique a fait tant de progrès, que si Boileau revenait au monde, lui qui osait se moquer d’une femme de condition, parce qu’elle fréquentait en secret Roberval et Sauveur, il serait obligé de respecter et d’imiter celles qui profitent des lumières de Maupertuis, Réaumur, Mairan, des du Fay, des Clairault… » Et plus encore que des Deshoulières et des Dacier, le sexe féminin a tiré de la gloire « de celles qui ont mérité qu’on fit pour elles les dialogues de la lumière[1] ». Dans ce passage, sans doute, faut-il remarquer que Voltaire vise, non des jeunes filles, moins encore des enfants, mais des femmes à l’esprit déjà mûr. Il n’en est pas moins vrai que, pour approfondir les sciences, la femme devra avoir reçu, au cours de ses années d’études, un solide bagage scientifique. Voltaire est donc, à cette époque, partisan d’un enseignement féminin très vaste et plus scientifique encore que littéraire. Et nul doute pour lui que l’esprit féminin ne soit capable d’assimiler des connaissances dans toutes les branches du savoir humain.

Le chapelain Pierre de Varennes se trouve, sur ce point, presque d’accord avec Voltaire ; il juge, lui aussi, que l’étude des sciences et des belles-lettres convient aux femmes qui, à mainte reprise, y ont brillé ; que l’on doit cesser de les en distraire par les plaisirs, et de jeter le ridicule sur celles qui s’y appliqueraient[2].

Tout ceci est assez peu précis, et nul, au début du siècle, à l’exception de l’abbé de Saint-Pierre, alors isolé, ne trace de véritable programme d’enseignement féminin. Mais ces idées font leur chemin, et, à la fin du xviiie siècle, époque où une ardeur passionnée de recherches scientifiques entraîne la société, les femmes se précipitent en foule aux Athénées, suivent les expériences scientifiques, s’adonnent aux sciences physiques ; l’éducation encyclopédique apparaît comme seule capable de former la femme ; des programmes précis et vastes à la fois sont tracés. Si l’on n’aperçoit, à l’exception des opuscules de l’abbé de Saint-Pierre, nulle vue précise et nette sur l’enseignement féminin avant 1750, c’est par dizaines, au contraire, que dans la deuxième moitié du xviiie siècle, et surtout à partir de 1770, on compte les traités

  1. Épitre dédicatoire d’Alzire à Mme  du Chatelet, allusion à Il Newtonionisnio delle donne, d’Algarotti.
  2. Les hommes.