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Les femmes et l’Académie

C’est surtout lorsque les hommes de lettres briguèrent les fauteuils académiques que l’influence des femmes leur fut utile. Au xviiie siècle, les salons sont les antichambres de l’Académie qui est elle-même « un grand salon officiel et central »[1], et l’on n’y paraît que lorsqu’on est d’abord désigné par sa célébrité dans l’un quelconque d’entre eux, donc si l’on a la faveur de celle qui préside à ses destinées. À nul autre moment les sièges académiques ne dépendirent aussi étroitement d’influences féminines. « Les femmes sollicitent beaucoup dans les cas d’élection à l’Académie », écrit le duc de Luyne. Et Voltaire montre, dès que se produit une vacance, les femmes se mettant en campagne avec toute leur activité, tout leur génie d’intrigue, tout leur dévouement pour ceux qu’elles patronnent. Parfois leur influence n’est pas très heureuse et elles poussent sous la coupole des personnages médiocres qui n’ont d’autres titres que les faveurs qu’elles leur accordent. En 1736, Mme  de Villars fait élire l’abbé Seguy qui a pour tout bagage une médiocre oraison funèbre du vainqueur de Denain[2] ; les élections de M. de Bissy, amant de Mme  de Luxembourg, et de l’abbé de Boismont, amant de Mme  de Chaulnes, que leurs maîtresses imposèrent au suffrage des quarante, furent plus scandaleuses encore et soulevèrent le toile de l’opinion[3] et discréditèrent l’Académie qu’on chansonna sans respect.

Le cas où les femmes imposent des indignes est cependant le plus rare et l’Académie leur doit au contraire quelques-uns de ses plus heureux choix. Mme  de Lambert, dont, dit non sans quelque exagération le marquis d’Argenson, le salon était le vestibule obligatoire de l’Académie et qui fit « la moitié des académiciens », présenta entre autres Montesquieu ; Mme  de Tencin distingua et fit élire Marivaux. Après une lutte acharnée contre l’abbé Trublet, candidat de la duchesse de Chaulnes, Mme  du Deffand fit élire d’Alembert[4] (1752).

À la même époque, la reine et la favorite entrèrent dans la lutte ; Marie Leckzinska, tenant pour les hommes bien pensants, envoya sous la coupole le président Hénault, Monerif et l’érudit Lacurne

  1. Brunel. Les Philosophes et l’Académie.
  2. D’Argenson. Loc. cit.
  3. Ibid.
  4. Ibid.