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Héloïse, a été utilisée avec succès par un très grand nombre de romanciers. Les Lettres Circasiennes de Mlle  Aïssé sont classiques. Les Lettres Péruviennes de Mme  de Graffigny, dont l’intrigue est assez intéressante, l’idée originale, s’apparentent par les intentions aux Lettres Persanes. Cette descendante des Incas qui, amoureuse d’un gentilhomme français et transportée en France jette sur le monde un regard curieux et railleur, ressemble beaucoup à Usbeck et à Rica. Les Lettres Péruviennes sont souvent, elles aussi, le prétexte de critiques assez vives contre la société. Le style en est d’ailleurs précieux, diffus, et l’œuvre est difficile à lire. Elle n’en contribuera pas moins à faire de Mme  de Graffigny la réputation d’un grand talent.

Les romans modernes de Mme  Riccoboni, ancienne étoile du théâtre italien, passée à la littérature (Fanny Butler, Histoire de miss Jenny, Lettres de la comtesse de Sancerre) ; ceux de Mme  Benoit (Élisabeth, Céliane, Journal en forme de lettres, Lettres du colonel Talhert), bonne bourgeoise de Lyon qui, mal vue dans sa ville natale vint se fixer à Paris et y tint un petit cercle littéraire, où fréquenta entre autres Mme  Roland[1] ; ceux de Mme  de Charriere (Lettres de Lausanne, Caliste) tranchent heureusement, sinon toujours par l’originalité du sujet, du moins par la finesse des réflexions psychologiques et l’agrément du style sur la médiocrité amphigourique des autres romans dus à des plumes féminines. « Nous connaissons peu d’ouvrages, dit la correspondance de Grimm en rendant compte de Caliste, où la passion de l’amour soit exprimée avec une sensibilité plus vive et plus profonde » [2]. L’éloge est exagéré, certes, mais Mme  de Charrière est un esprit d’une grande finesse, son style est d’une remarquable limpidité. On en peut dire autant de Mme  de Riccoboni, qu’inspire heureusement la description des sentiments amoureux, et de Mme  Benoit, dont on pourrait réunir les réflexions, d’ailleurs finement présentées, en un bréviaire pour les femmes qui veulent retenir leurs maris[3].

Les Confidences d’une jolie femme, de Mlle  d’Albert ; les romans didactiques de Mme  Leprince de Beaumont (Les Américaines, Anec-

  1. Mme  Roland. Loc. cit.
  2. Grimm. Correspondance (1787).
  3. Citons, entre autres, cette jolie réflexion : « Une femme doit toujours se défendre avec une apparence de sincérité et puis se rendre de bonne grâce. Alors, le mari croit jouir de tout le bonheur que fait goûter une amante délicate et sensible. Ah ! ma chère, que tous ces raffinements font adorer les entraves de l’hymen. Mais qu’ils font aussi éclore de sujets à l’État ! »