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plus qu’elles donnaient un but à leur vie et que les joies du monde, proscrites par la loi nouvelle, leur étaient refusées. Car c’est là un fait digne de remarque, parmi celles qui, à leur lit de mort, ont confessé le jansénisme, on chercherait vainement une femme mariée en puissance de mari ou une mère de famille entourée de ses enfants. Presque toutes les « appelantes » sont des vieilles filles ou des veuves[1] sans enfants qui, privées de tout intérêt dans la vie, s’attachent à leurs bonnes œuvres et à la dévotion. Si quelques-unes, intelligentes et désirant raisonner leur foi, deviennent théologiennes, la plupart n’ont que la foi du charbonnier. Leur obstination à confesser la vérité et à souffrir pour elle est d’autant plus grande. En dehors des convulsionnaires, anesthésiées à moitié, à moitié seulement[2] par une véritable hystérie mystique, les humbles bourgeoises et les paysannes jansénistes donnèrent des preuves d’une énergie morale, d’une force d’âme, d’une ténacité dignes de celles des plus grands défenseurs de la foi. C’est sur leur lit de souffrances, parfois sur leur lit de mort, qu’elles soutiennent la lutte. Le scénario du drame est dans tous les cas, ou presque, identique : appelé au chevet de la malade, le curé exige d’elle, avant de consentir à lui donner l’extrême-onction, le témoignage qu’elle adhère à la bulle ou la présentation du billet de confession qui en porte témoignage. Elle prend occasion de cette exigence pour affirmer sa foi janséniste, parfois en repoussant d’une seule parole la Constitution, comme le fit une religieuse qui se contenta de dire « Unigenitus ? Non » avant d’expirer, parfois, quand elle en a la force, en discutant. Fanatique souvent, le curé constitutionnaire, jaloux d’obtenir son adhésion et de vaincre l’esprit de rébellion qui est en elle, la harcèle de ses objections pressantes, lui oppose les tourments de l’enfer. Vains efforts : la malade, la mourante résiste avec une énergie d’autant plus étonnante qu’elle est le plus souvent fort âgée et elle meurt sans sacrement, à moins qu’une autorité supérieure, l’évêque, le Parlement, ne le lui fasse, de force, administrer ou que, revenue à la vie (le cas est assez fréquent), elle ne fasse poursuivre par les autorités séculières son persécuteur.

Le refus des sacrements donna lieu, on le sait, à des scènes violentes, parfois à de véritables émeutes ou à des manifestations très vives contre le clergé catholique. Les manifestations eurent le plus

  1. Sur environ deux cents noms de femmes qui figurent dans la Nécrologie des défenseurs de la vérité, c’est à peine si nous avons relevé une femme mariée.
  2. Car, malgré ce qu’on prétendait alors, La Condamine vit des convulsionnaires se tordre et crier de souffrances.