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la marquise du Deffand, terrifiée par le néant de l’existence, mais qui, même à l’extrême vieillesse, ne fait jamais appel à la dévotion pour le combler ; comme la duchesse de Choiseul, pétulante, toute remplie par les affections mondaines et un tranquille bonheur, sans autre nuage que les infidélités conjugales ; comme Mme  de Tencin, disant à Marmontel, en posant sa main sur son cœur : « C’est de la cervelle qui est là ; > ; comme Mme  Geoffrin, qu’un positivisme, un rationalisme absolu semblent guider ; comme les jeunes évaporées de l’entourage de Marie-Antoinette, les Lamballe, les Polignac, pour toutes celles-là, la religion se réduit à des gestes de parade, à des rites morts.

Même, lorsqu’à la fin du siècle, sous l’influence de Rousseau, se produit une vraie renaissance sentimentale, ce n’est pas vers le catholicisme que la femme du monde se tournera mais vers des mysticismes ou des superstitions d’une autre nature, mesmérisme, magie. Sur son âme de femme, le catholicisme a cessé d’avoir tout ascendant. Cependant les femmes à la mode ne sont pas toutes les femmes et ce qui est vrai d’elles ne l’est plus autant des bourgeoises. Déjà nous voyons les femmes de fermiers généraux, qui vivent effacées dans l’ombre de leurs étincelants époux, fréquenter assidûment les églises, subir fortement l’ascendant du clergé et mettre une partie de leurs revenus à la disposition des œuvres charitables que celui-ci subventionne. Il apparaît bien que ces femmes ne constituent pas une exception dans la bourgeoisie. C’est non seulement la bourgeoisie de la finance, mais la bourgeoisie parlementaire, mais la moyenne et la petite bourgeoisie qui nous montrent des femmes attachées encore à la religion ancestrale et en remplissant strictement les devoirs. Dans la plupart des villes de Parlement, on peut noter l’étonnant contraste entre les femmes de la noblesse d’épée, qui ne songent qu’au plaisir, et pour qui la religion ne compte guère, et celles de la noblesse de robe dont la vie est rendue austère par un respect plus grand, non seulement de la lettre, mais de l’esprit de la religion.

Les femmes de la moyenne et de la petite bourgeoisie parisienne et surtout provinciale restent, elles aussi, dévotes. Sans doute, il se trouve bien parmi elles des individualités comme Mme  Roland qui, jeune fille encore, s’est fait sous l’influence de ses lectures variées : Plutarque, Voltaire, Rousseau et les physiciens ou les astronomes, une philosophie détachée de toute religion positive et où règne un vague déisme. On peut bien cependant considérer qu’une personnalité aussi forte, aussi exceptionnelle par sa culture et son stoïcisme que celle de Mme  Roland, ne saurait être prise pour